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explicative de ses véritables intentions. Le ministre russe désavoue toute pensée d’ingérence dans les affaires de l’empire ottoman et toute prétention à usurper la protection des chrétiens d’Orient. Il ne réclame qu’une enquête entreprise par le gouvernement turc de concert avec les représentans des grandes puissances. Malgré la correction de ses conclusions, la circulaire ; russe n’en est pas moins un véritable acte d’accusation contre le gouvernement ottoman. Les avertissemens qu’elle donne ressemblent fort à des menaces. Le prince Gortchakof n’hésite pas à signaler parmi les causes de la fermentation des populations chrétiennes « les événemens accomplis dans l’occident de l’Europe, et qui ont retenti dans tout l’Orient comme un encouragement et une espérance. » Il est curieux de voir le gouvernement russe s’emparer ainsi de l’affranchissement de l’Italie pour faire miroiter aux yeux des chrétiens d’Orient l’indépendance future. Pourquoi, se demande-t-on, un gouvernement animé d’un si beau zèle ne commence-t-il point par en appliquer les inspirations à son propre empire ? Le gouvernement russe n’a-t-il pas dans sa propre administration à réformer des abus qui ne rencontrent en Europe de terme de comparaison que dans l’administration turque, qu’il est si ardent à dénoncer ? Le gouvernement russe n’a-t-il pas à détruire chez lui le servage, qui n’existe point en Turquie ? Le gouvernement russe peut-il croire qu’il y a quelque part des oppressions et des persécutions religieuses qu’il soit plus urgent de faire cesser que celles qui pèsent en Russie et en Pologne sur les populations catholiques ? Nous parlions récemment de l’intéressante publication du prince Pierre Dolgoroukov, où sont si vertement dénoncés les abus de l’administration russe. Nous ne pensions pas que le prince Dolgoroukov nous fournirait si tôt dans sa personne un exemple des procédés étranges auxquels les Russes sont exposés de la part de leur gouvernement. À Londres, où il réside en ce moment, le prince Dolgoroukov a reçu l’ordre de rentrer en Russie sans délai. L’auteur de la Vérité sur la Russie s’est vengé de ce procédé de despotisme asiatique en publiant les lettres par lesquelles il a répondu à l’ambassadeur et au consul-général qui lui transmettaient le firman de Saint-Pétersbourg. Nous y avons remarqué ce passage : « J’ai quarante-trois ans ; je suis né et j’ai vécu, comme tous les nobles russes, dans la position d’un esclave privilégié dans un pays d’esclavage général ; j’ai le dégoût de cette existence ; elle me fait mal au cœur, et je me suis décidé à finir mes jours dans des pays libres, dans des pays où les hommes ne sont point envisagés comme des moutons appartenant à telle ou telle famille… Je rentrerai dans mon pays ; mais ce ne sera que le jour où le régime des lois aura remplacé celui de l’arbitraire. » Cette lettre et plus encore le procédé qui l’a motivée sont de bien étranges, mais fort instructifs commentaires des circulaires libérales de la chancellerie russe.

Les provinces chrétiennes soumises à la Porte dont le prince Gortchakof signale de préférence les souffrances et les agitations sont la Bosnie, l’Her-