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empêche le capital d’Europe de se mettre en rapport avec la terre d’Afrique, c’est autre chose que de mauvaises routes à aplanir, de mauvaises lois à redresser. Il y a un corps opaque interposé entre eux, qui s’oppose à toute communication de chaleur et de vie : ce corps n’est autre que la société arabe, avec sa détestable constitution, répandue sur un sol immense, qu’elle détient en le dévastant.

La difficulté qu’oppose au gouvernement comme au peuplement de l’Afrique la constitution de la société arabe, nous la connaissons maintenant à fond, l’ayant déjà envisagée sous plusieurs faces. Nous l’avons rencontrée au seuil même de ces essais, en exposant les conditions générales de notre établissement colonial : nous l’avons retrouvée à chaque pas que nous devions faire dans l’examen des mérites et des torts des diverses administrations qui se sont succédé. C’est en effet le grand, le principal nœud de tout le problème. Dans quelque voie qu’on s’avance, c’est cette difficulté qu’on rencontre, et elle se multiplie et se transfigure sous mille formes différentes. Elle est à la fois politique et économique : elle est politique, car l’existence des tribus, c’est-à-dire de petites républiques indépendantes faisant corps et tenues ensemble par un lien que nous ne pouvons relâcher à notre gré, est un mécanisme dangereux qui s’interpose entre notre autorité et l’obéissance de nos nouveaux sujets, et qui, s’il garantit aujourd’hui la sécurité, peut la menacer demain. Elle est économique aussi, car le lien véritable de la tribu, c’est la propriété collective, absurde régime sous l’empire duquel la fertilité d’un champ est toujours en raison inverse de son étendue. Enfin elle est funeste également aux Européens et aux Arabes, car, en confisquant le sol au profit de possesseurs aussi peu aptes que peu intéressés à l’améliorer, elle en interdit l’accès aux nouveau-venus, à qui elle ne laisse pas de place suffisante, et en même temps elle retire aux anciens habitans de la contrée tout motif, tout espoir, tout élément de progrès. Elle condamne ainsi toute l’Afrique à une immobilité indéfinie, en arrêtant au passage tous les principes de vie qui pourraient venir du dehors, ou en étouffant dans leur germe tous ceux qu’une révolution morale pourrait produire au dedans. La tribu arabe est armée comme d’une faux à double tranchant qui étend la dévastation autour d’elle en la maintenant dans son propre sein.

Cette double et fatale influence expliquera peut-être, pour le dire en passant, à quelques personnes qui ont pu s’étonner de mon indifférence, le peu d’espoir que j’ai paru fonder pour l’avenir de notre colonie sur le progrès possible des habitans que nous y avons trouvés. Plus d’un philanthrope animé d’un louable amour de l’humanité, en me voyant invoquer comme la seule voie de salut de l’Algérie l’émigration européenne, qui se décide à venir avec tant de