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mais en proposant l’examen en comité de son projet de réforme, lord John Russell avait été forcé, par l’époque avancée de la session, de demander a la chambre un acte illogique. Il voulait que l’on ne s’occupât cette année que du bill de réforme relatif à l’Angleterre, et que l’on renvoyât à l’année prochaine les projets de réforme relatifs à l’Écosse et à l’Irlande. Dans cette façon de scinder une mesure dont les parties, quoique distinctes, doivent se correspondre et former un tout harmonique, Il y avait une inconséquence qui frappait les tories et un grand nombre de libéraux. Par exemple, si le bill relatif à l’Angleterre eût été seul voté, et si une circonstance fortuite eût rendu nécessaires avant l’année prochaine des élections générales, que les membres représentant l’Angleterre fussent élus suivant la loi réformée, tandis que les membres représentant l’Irlande et l’Ecosse auraient été élus suivant la loi ancienne, cela eût établi une choquante inégalité d’origine entre les membres du parlement. Le parti tory, par l’organe d’un membre écossais, sir J. Fergusson, présenta donc un amendement qui renvoyait la discussion des articles du bill anglais après la seconde lecture des bills irlandais et écossais. Cet amendement avait la priorité sur celui de M. Mackinnon, et il ne fut rejeté qu’à la majorité de 271 voix contre 250, majorité qui se serait certainement fondue en minorité, si un grand nombre de whigs n’avaient pas compté enterrer le bill en votant l’amendement de M. Mackinnon. C’est ce vote qui a enfin vaincu l’obstination de lord John Russell et l’a décidé à retirer sa mesure.

Les derniers débats ont été vifs, éloquens. Lord Palmerston, prenant pour la première fois la parole dans cette discussion de la réforme, était enfin sorti de l’assoupissement significatif auquel il se laissait aller chaque soir quand commençait la discussion du bill, et était venu au secours de son collègue aux abois ; mais aux réclamations nombreuses des libéraux, au ton animé et confiant de M. Disraeli et de ses amis, il était aisé de prévoir l’inévitable issue. Au fond, malgré les déclamations de quelques orateurs et d’un petit nombre de journaux obligés de jouer leur rôle, la nation anglaise est aujourd’hui complètement indifférente à la réforme électorale. Le parlement, dans sa constitution actuelle, a voté toutes les réformes que la voix populaire lui désignait, et ne s’est montré rebelle à aucune des tendances de la nation. Il n’y a donc pas de raison pratique et Impérieuse de réformer une représentation qui se montre l’écho raisonnable et fidèle de l’opinion publique. La réforme n’étant pas nécessaire, encore aurait-il fallu que la mesure proposée ne donnât accès à aucune innovation intempestive et mal étudiée. Le bill de lord John Russell, négligemment élaboré, rompait cet équilibre d’influences auquel les Anglais demandent la représentation vraie des intérêts divers qui se partagent une société arrivée à une civilisation avancée et compliquée. Lord John Russell s’était contenté d’ajouter en bloc au corps électoral un nombre considérable d’électeurs dont il ne pouvait pas lui-même indiquer le chiffre approximatif,