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classes populaires, pour faire contre-poids à la noblesse féodale, n’est qu’une hypothèse gratuite, que la royauté au contraire ne cherchait qu’à profiter des discordes de ces classes pour s’agrandir elle-même, et que si la nation s’est affranchie à la longue, ce n’est point par le concours des rois, mais malgré eux et malgré les obstacles qu’ils lui opposaient. « L’histoire de nos rois, selon M. Perrens, n’est le plus souvent qu’une longue suite de conjurations contre leurs sujets, conjurations qu’ils croyaient légitimes, puisqu’ils se regardaient comme investis d’un droit supérieur pour commander aux hommes. » Sur quoi fonde-t-il cette accusation quelque peu violente ? Sur ce que ces rois ne voulaient point se lier les mains, dès le XIVe siècle, par des convocations périodiques des états-généraux. Philippe le Bel, après avoir assemblé les représentans de la nation, s’étudie à les confiner dans des assemblées provinciales, ôtant ainsi d’une main ce qu’il donnait de l’autre. Ses fils suivent son exemple ; jamais ils ne réunissent les députés de la langue d’oc à ceux de la langue d’oil, et dans chacune des deux langues, ils isolent encore les provinces. Même politique chez le régent, depuis Charles V, pendant la révolution de 1356.

Le grief de M. Perrens contre les rois de France suppose donc, nous devons le remarquer tout d’abord, qu’une constitution représentative était dès lors non-seulement possible, mais encore le seul ou du moins le meilleur moyen d’arriver à l’émancipation des classes inférieures, à l’unité, à l’égalité. Selon lui, ce système, que nous-mêmes, après cinq cents ans de progrès dans tous les genres, après des expériences si coûteuses, après tant de livres et de théories, avec une bourgeoisie nombreuse, riche, instruite, avec des moyens de communication si multipliés, avec la paix, l’ordre, la justice civile, en un mot avec tout ce qui devrait nous rendre capables de nous gouverner nous-mêmes, nous n’avons pu maintenir, la société féodale, dans son plein développement, aurait pu l’organiser, le rendre durable et prospère, la société féodale, divisée en races de maîtres, d’affranchis et de serfs, découpée en provinces à peine adhérentes, jalouses de leurs privilèges, et inconnues les unes aux autres, partagée en langues et en coutumes diverses dont la fusion devait coûter tant de temps et passer par tant de transitions ; la société féodale, privée de routes sûres, de police dans les campagnes, déchirée par la guerre étrangère et par la guerre civile ! C’est dans un pareil milieu que M. Perrens croit possible l’établissement d’une constitution représentative et presque républicaine !

« Cette révolution de 1356 était, dit-il, moins prématurée qu’on ne pense ; elle n’échoua que par des circonstances accidentelles, que le hasard aurait pu éloigner comme il les amena. Ce gouvernement de la bourgeoisie, s’il avait duré, n’aurait point fait obstacle au rapprochement des castes et des provinces, à l’extinction de la féodalité, enfin au nivellement et à l’unité, qui furent les principaux bienfaits du pouvoir absolu. Il aurait multiplié les relations de ville à ville, dans l’intérêt du commerce. La confédération des bonnes