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des baillis, le droit d’appel les rattachaient au parlement, changeaient leur nature, leur donnaient par la jurisprudence naissante une loi qu’elles n’avaient pas. Si l’on mesure les pas faits dans ces trois siècles par tant d’innovations successives, on trouve des pas de géant ; tous ces pas étaient dans la voie de l’affranchissement. C’est trop rétrécir nos vues que de ne considérer la vie que sous telle ou telle forme. La liberté ne pouvait pas commencer par être adulte. Qui a soutenu la nation dans ce premier âge ? C’est la royauté sans doute. Elle cherchait à s’agrandir ; qui l’ignore ? Mais la question est de savoir si son agrandissement n’était pas la condition même du salut public. S’emparer du pouvoir militaire, n’était-ce pas l’ôter à des milliers de petits souverains qui en écrasaient le peuple ? Usurper le droit de rendre la justice, bien réellement attaché depuis un temps immémorial à la jouissance du fief, n’était-ce pas créer des garanties à la justice même, qui en manquait absolument, n’étant que la volonté du maître ? C’est encore trop rétrécir nos vues que de ne jamais nous montrer en action que la personne des rois : c’est l’institution royale qu’il faut voir, car c’est elle qui agit ici ; c’est autour d’elle que s’élèvent et grandissent peu à peu d’autres institutions qui coopèrent avec elle plutôt qu’elles ne lui obéissent, ou la limitent en lui obéissant, comme par exemple cette institution du parlement, dont l’action et l’influence au moyen âge sont si peu connues et ont été si grandes, non-seulement sur l’état, mais sur l’esprit même de la nation. Quand donc on parle de l’alliance de la royauté avec les classes populaires, on veut exprimer surtout la connexité de l’institution royale avec l’intérêt du plus grand nombre. Cet intérêt, dans l’origine et au sortir de la barbarie, c’était avant tout l’ordre, et l’ordre ne pouvait renaître que par le pouvoir. Il nous est facile aujourd’hui de marchander au pouvoir de ce temps-là ses moyens, de chicaner ses tâtonnemens et ses ignorances, et de prendre note de ses fautes : les gens d’alors n’étaient pas si sévères ; ils en appelaient au roi de toutes parts, et les gros volumes du recueil des ordonnances et des olim sont pleins de réponses à cet appel ; c’est ce qu’il n’est pas permis d’oublier. Que cette politique constante, devenue une tradition souveraine et en quelque sorte une force automotrice, ait été souvent interrompue ou contrariée par des torts individuels, ou par ces accidens qui viennent sans cesse troubler le cours naturel des choses, rien de moins étonnant ; mais ces déviations n’empêchaient pas le mouvement de reprendre son cours, parce que la pente était toujours la même. Les rois avaient contre eux, outre les vices et les erreurs dont personne n’est exempt, les préjugés du temps, les droits acquis que le peuple même respectait dans ses oppresseurs, les guerres civiles, les guerres étrangères, les difficultés de toute création administrative quand on n’a ni l’expérience ni les agens fidèles ou capables : comment ne pas leur en tenir compte ?

Mais peut-être, depuis Philippe le Bel, le moment était-il venu d’une politique nouvelle, d’un changement radical dans cette constitution si péniblement