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sous l’influence de la ville de Paris, qui étouffait ou faussait la véritable expression du sentiment national. Dans cette situation, il aurait fallu du moins que ces législateurs novices, inspirés par cette sagesse même qu’ils avaient dû acquérir dans l’administration des cités, comprissent d’abord combien leur nouvelle mission était disproportionnée à leurs habitudes, combien ils devaient se défier, et d’eux-mêmes, et de l’inconnu périlleux et compliqué dans lequel ils marchaient, combien il était nécessaire de s’entendre entre eux et de ne pas se laisser déborder par des gens mieux instruits de l’état des choses et animés par des passions et par des intérêts cachés, combien il importait d’éclairer et d’aider le pouvoir sans le supplanter, de supporter quelques abus pour obtenir l’essentiel, et de ne pas ébranler le trône pendant que l’étranger ravageait le territoire. Ils firent tout le contraire.

Aux états de 1351, « il fut impossible aux députés de s’entendre. » Ils entrèrent dans un esprit d’opposition qui préparait déjà les troubles des années suivantes ; ils marchandèrent leurs votes, ne trouvèrent suffisante aucune des garanties qu’on leur offrait, et finirent par alléguer « qu’ils n’avaient pas de pouvoirs pour voter définitivement l’impôt. » On reconnaît déjà ici la marche ordinaire des agitations politiques, lorsqu’elles ont des meneurs secrets et couvrent des conspirations ; aussi l’opposition avait-elle dès lors « un chef puissant » dans Charles le Mauvais, qui avait des prétentions au trône et contestait la loi salique, « petit homme plein d’esprit et de feu, soucieux et réfléchi, à l’œil vif, de figure agréable et de manières attrayantes, sachant se faire aimer, » au demeurant « n’étant point ce que de nos jours on appellerait un honnête homme ; on peut lui reprocher d’avoir été un ambitieux et un artisan d’intrigues ; sa parole n’était pas sûre, et il n’avait pas cette horreur du meurtre et du sang qu’une civilisation plus avancée pouvait seule inspirer. » On ne voit donc pas ici que les obstacles soient venus du roi, mais bien des ennemis du roi. « Il fallut congédier les états-généraux et recourir aux états provinciaux, qui cette année et les suivantes reçurent mission de voter les subsides. »

Aux états de 1355, les députés, qui n’étaient venus « qu’avec des idées vagues de réformes, » voyant que le roi offrait spontanément des garanties qu’on ne lui avait pas encore demandées, et se rendait à merci, « prirent de la hardiesse, et les principaux d’entre eux tombèrent d’accord presque sans avoir eu besoin de s’entendre. » Ils demandèrent que les trois ordres pussent voter ensemble, avantage considérable pour le tiers, ce qui leur fut accordé. On vota une gabelle sur le sel et une taxe sur les choses vendues, sans aucune exemption ni immunité, ni pour les princes, ni pour le roi, ni pour les deux premiers ordres ; c’était l’égalité en matière d’impôts, ce qui leur fut encore accordé. Mais bientôt les empiétemens commencent et les pouvoirs se confondent ; les états décident qu’ils nommeront eux-mêmes les receveurs, les trésoriers, les receveurs-généraux, plus une commission de neuf