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à peine à fleur de peau sur un mal qui altère la masse du sang et gangrène la moelle des os. Tant que la tribu subsistera avec sa communauté brutale, d’une main elle repoussera les étrangers, et de l’autre elle pèsera d’un poids assez lourd sur le front des indigènes pour y déprimer toute intelligence et y paralyser toute activité. De quelque côté par conséquent qu’on entame l’entreprise d’arracher l’Afrique à la barbarie, qu’on essaie d’y transporter des cultivateurs européens ou qu’on se flatte d’enseigner la culture aux enfans de l’Afrique, qu’on veuille civiliser ses naturels ou y naturaliser des hommes déjà civilisés, c’est toujours la constitution de la société arabe qui fait obstacle, et c’est à sa racine même qu’il faut l’atteindre. Quelque voie qu’on choisisse, qu’on prenne son point de départ en Europe ou en Afrique, on aboutit toujours au pied du même roc qu’il faut emporter par le même assaut.

Cet assaut, c’est au gouvernement de le diriger. Il peut prendre son temps, choisir son heure, son lieu, son point d’attaque, mais tôt ou tard, et plus tôt que plus tard, il faut qu’il arrive à désorganiser la tribu et à rendre à la circulation le territoire qu’elle détient. C’est pour la colonie africaine une question capitale, un cas de vie ou de mort, car on ne peut attirer l’émigration européenne sans lui faire une large place sur ces immensités désolées que la tribu embrassé aujourd’hui de sa molle et funeste étreinte, et on ne peut transformer les Arabes en cultivateurs sérieux, par conséquent en sujets utiles, qu’en restreignant leur domaine de manière à le proportionner aux efforts du labeur individuel. Ce sont deux résultats connexes qu’on ne peut obtenir que par la même opération. Il s’agit donc de provoquer une sorte de liquidation générale du sol africain, dont deux parts devraient être faites : l’une pour attirer et recevoir l’émigration de l’Europe, l’autre pour demeurer entre les mains des Arabes, non plus comme héritage collectif de la tribu, mais au titre d’une propriété personnelle, définie et divisée. Quand cette répartition sera consommée, si elle l’est jamais, c’est alors véritablement que des rapports réguliers pourront s’établir, et même qu’une sorte de concours sera ouvert en Afrique entre les races européennes et arabe, placées désormais dans les mêmes conditions économiques, mais douées de qualités différentes. Les Arabes auraient sur les Européens l’énorme avance de se trouver tout établis sur le terrain, faits au climat, ayant peu de besoins à contenter, n’ayant nul apprentissage à faire, nulle émanation, nulle intempérie, nulle insolation à craindre. Les Européens, plus dépaysés et plus exigeans, apporteraient la supériorité de leurs lumières, de leurs outils et de leurs capitaux. Dans cette concurrence, qui serait en réalité le mieux partagé, et à qui resterait définitivement, en majeure partie, la possession du sol ? J’ai entendu à cet égard les prédictions les plus diverses faites par