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Ayons plus de confiance ici dans la voix de l’équité naturelle que dans toutes les subtilités légales : c’est elle qui proteste qu’une déclaration de ce genre, fondant à l’improviste sur des populations surprises, dont elle bouleverserait, en un jour et en masse, toutes les conditions d’existence, ne serait qu’une spoliation à peine déguisée, et présenterait le plus odieux peut-être des spectacles de ce monde, celui de la fraude mise au service de la force. C’est là surtout, pour ma part, indépendamment des formidables difficultés d’exécution qui se présentent d’elles-mêmes à l’esprit, ce qui me paraît condamner sans retour toute idée de procéder à la nouvelle répartition du territoire par voie générale, hautaine et sommaire. Maintenant ce qui ne peut se commander au nom d’un droit prétendu qui ne serait que l’abus de la force ne peut-il pas s’obtenir de gré à gré par l’ascendant de la raison et par composition amiable ? Ce qui ne peut être imposé brutalement sous forme de sacrifice sans compensation ne peut-il pas être exigé légalement moyennant un échange d’avantages équitablement calculé ? Si la spoliation est repoussée par la conscience de tous les peuples civilisés, l’expropriation pour cause d’utilité publique est admise sans difficulté par toutes les lois. Or ici l’utilité publique est constante, et ce ne sont pas les moyens d’indemnité préalable qui font défaut entre les mains du gouvernement.

Sans entrer en effet dans la voie des indemnités pécuniaires, des achats proprement dits, autrefois proposés pourtant par le maréchal Bugeaud, mais qui entraîneraient dans des calculs très compliqués, je suis convaincu que le gouvernement possède assez de moyens d’agir sur les intérêts véritables des tribus arabes pour leur imposer sans violence, sinon à toutes le même jour et au même degré, au moins successivement, à des époques et dans des proportions différentes, une transaction dont le bénéfice serait en grande partie en leur faveur. Le gouvernement tient dans sa main leur fortune et leur existence par les impositions, dont il détermine le montant et peut faire la remise, et par les travaux publics, dont lui seul dirige l’exécution. Pour assurer la soumission matérielle, nous avons souvent imposé des contributions extraordinaires aux tribus coupables ou soupçonnées d’avoir pris part aux rébellions. Dans un intérêt égal et intimement lié à celui de l’ordre public, où serait l’inconvénient de favoriser par un procédé inverse les tribus qui se prêteraient à donner à notre conquête son complément ? Il est, d’autre part, telle route ouverte ou tel barrage établi qui, en assurant la régularité des récoltes ou la facilité des débouchés, doublerait d’un seul coup la valeur foncière d’un champ, et comme ces travaux, également demandés, désirés partout, font défaut de tous côtés, il ne serait que juste de les appliquer préférablement au territoire de ceux qui consentiraient à en partager les profits avec de nouveaux concitoyens.