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génération des peuples, peut-être nous diraient-ils que le procédé inverse, celui qui remonte du particulier au général, est ici, comme dans toutes les sciences expérimentales, le plus sûr et le plus fécond. La commune, à vrai dire, est le moyen naturel d’une société, et surtout d’une colonie naissante. C’est là que des hommes venus de points divers de l’horizon peuvent faire l’apprentissage de l’association à laquelle ils sont destinés, et unir librement contre les résistances de la nature des efforts que l’action administrative, toujours faible et éloignée, ne peut qu’à peine seconder. Dès qu’il y a deux hommes établis sur un territoire, à portée de se connaître, de se gêner ou de se secourir, ils ont un intérêt commun à poursuivre et par conséquent à débattre : c’est une rivière qui déborde à contenir, un bois à éclaircir, un roc à faire sauter par la poudre, un chemin à ouvrir, un emplacement à déterminer pour s’y donner rendez-vous et échanger leurs produits. Il n’en faut pas davantage pour que la commune soit formée, et laissez-la seulement grandir, elle deviendra une ville, et de tous ces germes poussés en arbres sortira la forêt qui portera le nom de peuple ou de société. On ne peut donc trop encourager les colons à se former promptement en communes, ni laisser à leurs communes, une fois constituées, trop de liberté dans leurs mouvemens, car s’il y a un lieu où la liberté d’association soit inoffensive, c’est là où il y a peu d’hommes et beaucoup d’espace.

Jusqu’ici, l’administration en Afrique, sans refuser tout à fait à ses colons cette mesure parcimonieuse de libertés municipales que la centralisation nous distribue goutte à goutte, a pourtant toujours posé en principe qu’il ne pouvait exister de commune que là où l’autorité militaire avait fait place au pouvoir civil. On fait don aux colons d’un conseil municipal en même temps que d’un sous-préfet, comme si ces deux institutions étaient le corollaire ou, si l’on veut, l’antidote l’une de l’autre. J’avoue que, si l’incompatibilité entre l’établissement des communes et le pouvoir militaire était réelle et tenait au fond des choses, il faudrait certainement considérer le pouvoir militaire comme un pis-aller dont on ne saurait se délivrer trop tôt, car les intérêts communaux tiennent de si près aux droits de la famille et de l’individu, ils touchent de si près aussi aux premières nécessités de la vie, au pain que l’on mange, à l’eau que l’on boit, au travail du jour, au repos de la nuit, à la prière du dimanche, que des hommes à qui l’on refuse le droit de s’en occuper sont véritablement mutilés des plus chères prérogatives et ravalés au-dessous de la condition de leur espèce. Je suis néanmoins encore à me demander pourquoi, parce qu’on a un général pour administrateur au lieu d’un préfet, et que le ressort dont on fait partie s’appelle un cercle et non un arrondissement, il serait impossible à des hommes de se réunir pour discuter