Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/121

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chef et ses subordonnés aucune des relations de sympathie et de dépendance sur lesquelles la véritable autorité se fonde. L’administration d’Algérie, en recevant un chef civil, n’a point encore cessé d’être militaire aux neuf dixièmes. Au contraire, à part la direction supérieure qui lui a échappé, l’armée a été, provisoirement du moins, maintenue en Afrique presque dans toute l’étendue de ses devoirs comme de ses prérogatives. De ce provisoire, qui dure encore après dix-huit mois, et a toute l’apparence de devoir durer encore assez longtemps, résulte une singularité fort nuisible à la bonne expédition des affaires : c’est que l’administration de la colonie a aujourd’hui deux têtes ; elle dépend à la fois du ministère de l’Algérie et du ministère de la guerre ; disons mieux, elle appartient réellement à l’un et n’est que provisoirement prêtée à l’autre. Le ministère de la guerre est l’autorité véritable à laquelle chacun des membres de cette administration tient par son passé, et dont il attend son avenir ; deux liens étroits l’y rattachent, l’un de conscience, l’autre d’intérêt : le soin des troupes confiées à sa garde et celui de son avancement personnel. Le progrès de l’Algérie ne venant très légitimement qu’en troisième ligne, derrière des préoccupations de cet ordre, il en résulte que le ministère de l’Algérie n’a sous sa disposition que des agens qui le servent aujourd’hui par accident, tout prêts et même naturellement destinés à le quitter demain pour la moindre perspective d’ambition et le moindre sujet de mécontentement, recevant leurs inspirations d’une autre source que la sienne, et pouvant opposer à toute impulsion qui les gêne la force d’un corps indépendant. Le ministère de l’Algérie reçoit tous ses serviteurs de la bonne ou plutôt de la mauvaise grâce d’un collègue qui les retient en les donnant, qui plaint au fond tout ce qu’il cède et regrette tout ce qu’il a perdu. Si le gouverneur-général était en quelque sorte parqué dans son administration militaire sans pouvoir en sortir, le nouveau ministère est plaqué à sa surface sans aucune adhérence avec elle. Ce défaut de communication est encore accru par l’éloignement et la distance. Le ministre de l’Algérie réside nécessairement à Paris, et ne peut faire en Afrique que de courtes et rares apparitions. Or, dans une tâche comme celle qui est imposée à l’administration militaire, si elle prétend à transformer l’état intérieur des tribus, là où l’unité du but ne peut être atteinte que par l’infinie diversité de moyens, quand il faut agir ici par force et là par persuasion, connaître chaque personne et payer partout de la sienne, un chef qui réside au-delà des mers se condamne d’avance à une nullité presque absolue. Ce qu’il peut savoir en étudiant de longues heures, ce qu’il peut faire en écrivant des volumes n’est rien auprès de ce que lui apprendrait un coup d’œil jeté sur le pays même et de ce que terminerait un quart d’heure d’entretien