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« Tandis que nous regardions, dit-il, un grand mouvement se manifeste tout à coup dans ces voies profondes. Des murs du parc on voit ruisseler dans les tranchées comme un flot d’hommes vêtus de blanc. Une fusillade irrégulière s’établit le long de ces boyaux anguleux ; on dirait une traînée de poudre qui s’enflamme. Cette mousqueterie est à l’adresse de la Dilkoosha. Les balles passent dans l’air en frissonnant par-dessus nos têtes, ou viennent de temps en temps s’aplatir contre le toit ; mais la grande majorité des coups ne porte pas jusqu’à nous, on le voit de reste aux petites éruptions de poussière que les balles font jaillir du sol en avant du château. Grâce à Dieu, l’ennemi ne possède encore que « la brune Bess[1]. » Encore quelques années, et pas un de nous ne fût impunément resté sur cette terrasse, car nos bons amis des tranchées auraient été pourvus d’excellentes armes de précision, Enfield ou tout autres, bien rayées et portant à mille mètres. — Voyez donc, sergent… Faites tirer sur ces drôles, là-bas, autour de cet arbre ! — En effet, d’une tranchée pratiquée en travers de la route qui mène directement de la Dilkoosha vers le Bank’s Bungalow, venaient de sortir sept ou huit hommes, qui, s’abritant d’un gros arbre, s’amusaient à tirer sur nous. — Allons, Mac-Alister, dit le sergent, il me semble que vous pouvez calculer sur sept cents yards[2]. — Laissez-moi essayer à six cent cinquante. — Et la balle vibre dans l’air. Nos bons amis saluent et courent se réfugier dans la tranchée. Un d’eux, au moment de sauter dans cet asile sauveur, a levé ses deux bras en l’air. — M’est avis, dit Mac-Alister, bourrant une autre cartouche dans son fusil, m’est avis que cette fois je les ai pincés. »


Peu à peu la fusillade gagnait du terrain, les Anglais se faisant un point d’honneur de répondre au feu des tranchées. Leurs balles coniques écrêtaient le bord de ces fosses sablonneuses ; mais ni de part ni d’autre on ne se faisait grand mal. Tout à coup cependant, derrière un groupe d’arbres à la droite de La Martinière, un épais nuage de fumée s’envola, et un boulet passa sur la tourelle où le correspondant du Times s’était perché pour mieux voir. En même temps, une autre pièce placée devant le Bank’s Bungalow ouvrait aussi son feu, et, par trois ricochets successifs, le projectile qu’elle expédiait aux Anglais, arrivant jusqu’au seuil même de la Dilkoosha, mit en déroute un groupe de curieux. Bref, il devint évident qu’on était sous le feu de l’artillerie des rebelles. Aussi un officier vint-il faire taire les tirailleurs qui garnissaient les fenêtres inférieures du château ; leur feu ne servait à rien et attirait les boulets ennemis.

Sous ces boulets, et sans s’en inquiéter autrement, les chefs de l’armée anglaise, plans et cartes en main, délibéraient sur leurs attaques futures ou discutaient les rapports de leurs espions. Ceux-ci racontaient que les assiégés étaient loin d’être d’accord entre eux. Le

  1. Brown-Bess (Élisabeth-la-Brune), nom donné à l’ancienne carabine de munition, dont le canon était bruni.
  2. Le yard est à peu de chose près le mètre français.