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VI

Les préparatifs de l’attaque étaient achevés. Un fil télégraphique, installé par le lieutenant Stewart, mettait en communication instantanée les deux fractions de l’armée assiégeante, et le concert parfait de leurs opérations se trouvait ainsi assuré. Sir Colin Campbell et sir James Outram devaient ce jour-là (9 mars) pousser en même temps l’ennemi. La colonne jetée au-delà de la Goumti s’ébranla de bonne heure, et, marchant derrière son artillerie, s’avança vers Lucknow, dans la plaine labourée par ses boulets. Les canons ennemis ripostaient faiblement, et, successivement ramenés de position en position, se rabattaient dans la direction des deux ponts. Du reste, un immense rideau de poussière enveloppait les combattans, et du haut de la Dilkoosha on ne distinguait les progrès de sir James Outram qu’au bruit de la mousqueterie et de la canonnade, apporté par l’écho dans une direction toujours plus voisine de la place. De temps en temps, un message arrivait, annonçant que la marche en avant continuait de ce côté sans rencontrer de trop sérieux obstacles. L’ennemi, chassé par le canon de toutes ses embuscades, se rejetait du côté du Badshahbagh, ce palais qui fait presque face à la Résidence, sur l’autre bord de la Goumti ; il paraissait cependant vouloir défendre auparavant un autre palais baigné par la rivière, le Chuckerwallah-Kothie.

En même temps que ces nouvelles arrivaient au camp de la Dilkoosha, l’ordre y circulait, donné sans trop de bruit, de faire dîner les soldats à midi précis. On sait, en campagne, ce que présage une mesure de ce genre. Les officiers, entrevoyant du nouveau, questionnaient à l’envi l’impassible correspondant du Times, qu’on savait au courant de plus d’un mystère. Il était en effet prévenu qu’à deux heures on attaquerait La Martinière. Ceci lui gâtait le spectacle, et il se prenait à regretter la précision des ordres, les combinaisons trop méthodiques de la stratégie civilisée. Dans l’attaque préméditée, rien, d’imprévu, rien de livré au hasard. En termes aussi clairs, aussi froids qu’une démonstration géométrique, le général Mansfield assignait à chacun son poste, son rôle, et chacun devait à ces indications de l’état-major une obéissance mécanique. Moyennant cette stricte observance des ordres reçus, la position de l’ennemi, en un temps donné, devait être occupée par a plus b ; procédé merveilleux d’exactitude, de netteté, qui aboutit à épargner beaucoup d’hommes, mais laisse peu de place à la curiosité, à l’émotion du spectateur.

À droite et à gauche de la Dilkoosha, deux batteries, dont l’une était commandée par William Peel, redoublaient leur feu contre La