Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/169

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Sir Colin vint jusque sur le seuil de la tente à la rencontre du maharajah, lui prit la main et le fit entrer. Alors commença une série de révérences et de salaams, réitérés sans fin ni trêve, à mesure que le prince présentait au général en chef d’abord les altesses ses frères, puis, un à un, tous ses grands officiers. Il s’écoula quelque temps avant que le général eût pu s’établir sur son fauteuil, placé au fond de la tente. Le prince ghoorka était à sa droite, et avec lui tous les hôtes qu’il nous avait amenés. Les Anglais occupaient la gauche. Le durbar était ouvert ; il consistait en quelques discours fleuris que traduisait avec un sérieux parfait le capitaine Metcalfe, tandis que les Népaulais et les Anglais ne cessaient de s’examiner. Les premiers étaient en général d’assez gros hommes, à face de Kalmouk, hauts d’épaules, les jambes fortement arquées, richement vêtus d’une sorte d’uniforme d’ordre composite, mi-parti oriental et européen. Jung lui-même resplendissait comme une queue de paon étalée en plein soleil, et ses frères ne brillaient guère moins, il faut en convenir ; mais ce qui jetait plus de feux que toutes les joailleries du maharajah, c’était son œil, dont la prunelle phosphorescente émettait je ne sais quels froids rayons, insupportables à contempler. Dans ce regard de tigre, que de cruauté, que de subtilité, que de ruse ! Et comme il sondait, avide et brillant, toutes les profondeurs de la tente ! « Voilà bien, murmurait un de mes plus proches voisins, le drôle le mieux conditionné qu’on ait jamais acquitté ou pendu. »

« Le durbar durait encore lorsqu’arrive un des aides-de-camp chargés par le général Mansfield d’annoncer à sir Colin que le Begum’s Kothie est à nous. Nous avons peu de pertes à regretter. L’ennemi a laissé plus de cinq cents morts. Le hourrah qui s’arrête sur nos lèvres, chacun l’a poussé au fond du cœur. Jung essaie de paraître charmé de cette nouvelle, que sir Colin lui communique avec une certaine vivacité. Malgré tout, la conférence officielle avait duré trop longtemps, et quand les cornemuses écossaises se mirent de la partie, un vrai désespoir gagna l’assistance ; mais pas un de nous n’osait bouger. Enfin le général en chef et le maharajah se levèrent, et alors commença la présentation des officiers anglais à son altesse. Arrivant à moi : « Désirez-vous, me dit sir Colin, être présenté au prince ? — Excellence, je n’en ai pas la moindre envie. » J’échappai par cette simple réponse à la nécessité de presser une main qui a commis plus d’un meurtre. Son altesse et ses frères se hissèrent ensuite sur l’éléphant de cérémonie que le général avait mis à leur disposition, et dont j’admirais pour la première fois le howdah d’argent, le masque et la trompe, peints des plus vives couleurs, les formes massives qu’un harnachement somptueux semblait avoir incrustées d’or. Ce fut ainsi que, suivi de son cortège à cheval, Timur-Leng prit congé de nous ! »


Le Begum’s Kothie était pris, le petit Imanbarra fort menacé, le Kaiserbagh en échec et bombardé sur deux de ses faces. C’était assez pour une journée. Le général en chef s’attendait à une résistance encore énergique ; mais, le Kaiserbagh dût-il tenir bon, la résistance qu’il pouvait offrir n’était plus qu’une question de temps. « Or, quelque temps qu’il nous prenne, j’aime encore mieux cela que de