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formations que vous jugerez nécessaires, et me rendre réponse le plus tôt possible, car je vais être bien inquiet et bien agité en attendant votre décision ?

Tonine fut si étourdie de cette déclaration et de la manière franche et respectueuse dont elle fut faite, qu’elle ne sut d’abord que répondre.

— Tu vois bien, ma fille, lui dit Mme Sauvière, que monsieur te parle très sérieusement, que c’est un grand honneur qu’il te fait, et, comme tu connais bien sa position et sa famille, je ne crois pas que tu aies de longues réflexions à faire.

— Je n’en ferai donc point, répondit Tonine, et lui dirai tout de suite que je le remercie et que je l’estime tout à fait pour son idée d’aimer une fille qui n’a que son honnêteté pour tout bien ; mais je ne veux guère me marier, et si je le voulais un peu, ce serait à la condition de ne pas quitter mon endroit, où j’ai de bons vieux amis et où je me regarde quasiment comme la fille à tous les honnêtes gens.

— En cela, tu as raison, reprit la Sauvière ; tu es la fille bénie et chérie des familles, la sœur de toute la jeunesse raisonnable, la mère à tous les pauvres petits enfans. Vous n’avez pas tort de vouloir d’elle, monsieur Anthime ; c’est l’honneur et le bonheur de la Ville-Noire que vous nous enlevez ! Mais comme avant tout nous devons penser à ce qui lui est avantageux, ce n’est pas moi qui dirai un mot pour l’empêcher de monter au rang qui lui convient, et où je vous réponds qu’elle saura bien se tenir dans l’estime de tout le monde.

— Moi, je ne tiens pas au rang, dit Tonine, au contraire, je le crains beaucoup.

— Le rang d’un médecin, si rang il y a, répondit le jeune docteur, est pourtant celui qui convient le mieux à l’amie des pauvres.

— C’est vrai, monsieur, dit Tonine, mais je ne crois pas pouvoir quitter la ville basse. J’y ai été trop aimée pour me contenter de l’amitié que je pourrais trouver ailleurs. Il me faudrait devenir dame dans la ville haute, et j’y serais moquée comme ma pauvre sœur l’a été. Cet endroit-là, voyez-vous, ne me rappelle que des peines, et quand je suis forcée d’y aller, c’est bien à contre-cœur !

— Mais qu’à cela ne tienne ! s’écria Anthime ; si vous voulez rester ici, je m’y établirai, moi, et j’y serai plus utile qu’à la ville haute, où il y a plusieurs médecins, tandis que vous n’en avez pas un seul fixé parmi vous. Vous ne changerez donc rien à vos habitudes, Tonine, et vous aurez rendu à vos chers concitoyens un très grand service.

Cette bonne réponse fit une certaine impression sur Tonine, et elle demanda seulement huit jours pour réfléchir.