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ne bouge pas ! » Elle s’en va enfin, ayant tout extorqué, et Lucy fait l’innocente, semble croire que Gripe est un maître à danser, et lui demande sa leçon. Ici quelles scènes et quelles équivoques ! Enfin elle crie, la mère et des gens apostés enfoncent la porte ; Gripe est pris au piège, on le menace d’appeler le constable, on lui escroque cinq cents livres sterling. Faut-il conter le sujet de l’Epouse campagnarde ? On a beau glisser, on appuie trop. Horner, gentilhomme qui revient de France, répand le bruit qu’il ne peut plus faire tort aux maris. Vous devinez ce qu’entre les mains de Wycherley une pareille donnée peut fournir, et il en tire tout ce qu’elle contient. Les femmes causent de son état, et devant lui se font détromper par lui, et s’en vantent. Il y en a trois qui viennent chez lui, font ripaille, boivent, chantent, et quelles chansons ! C’est le débordement de l’orgie qui triomphe, se décerne elle-même la couronne et s’étale en maximes. « Notre vertu, dit l’une d’elles, est comme la conscience de l’homme d’état, la parole du quaker, le serment du joueur, l’honneur du grand seigneur : rien qu’une grimace pour duper ceux qui se fient à nous. » À la dernière scène, les soupçons éveillés se calment sur une nouvelle déclaration de Horner. Tous les mariages sont salis, et ce carnaval finit par une danse des maris trompés. Pour comble, Horner propose au public son exemple, et l’actrice qui vient dire l’épilogue achève l’ignominie de la pièce en avertissant les faux galans qu’ils aient à se bien tenir, et que s’ils peuvent duper les hommes, « ce n’est pas aux femmes qu’on en peut donner à garder. »

Mais ce qui est véritablement unique, et le plus extraordinaire des signes de ce temps, c’est qu’au milieu de ces provocations nulle circonstance repoussante n’est omise, et que le conteur semble tenir autant à nous dégoûter qu’à nous dépraver. À chaque instant, les élégans, même les dames, mettent en tiers dans la conversation ce qui, depuis le XVIe siècle, accompagne l’amour. Dapperwitt, en offrant Lucy, dit pour excuser les retards : « Laissez-lui le temps de mettre sa longue mouche sous l’œil gauche et de corriger son haleine avec un peu d’écorce de citron. » Lady Flippant, seule dans le parc, s’écrie : « Malheureuse femme que je suis ! j’ai quitté le troupeau pour mettre les chiens à mes trousses, et pas un vagabond ivrogne qui vienne trébucher sur mon chemin ! Les mendiantes en loques, les ramasseuses de cendres ont meilleure chance que moi. » Ce sont là les morceaux les plus doux, jugez des autres ! Il prend à tâche de révolter même les sens ; l’odorat, les yeux, tout souffre devant ses pièces ; il faut que ses auditeurs aient des nerfs de matelot. Et c’est de cet abîme que la littérature anglaise est remontée jusqu’à la sévérité morale, jusqu’à la décence excessive qu’elle