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d’une foule de mots italiens, sont moins dénaturés et moins rudes. D’autre part, il est tel village, telle montagne du Péloponèse ou de la Roumélie, dont les habitans ont, par le fait du hasard ou d’une résistance exceptionnelle, échappé à l’introduction de presque tout élément étranger, et conservé comme de purs diamans dans leur dialecte des termes et des paroles antiques. À laisser même de côté toutes les considérations par lesquelles l’étude de la grammaire d’une nation peut se rattacher à la philosophie et à l’histoire, à n’envisager le grec moderne que comme un instrument plus ou moins parfait, une forme plus ou moins harmonieuse de la pensée, on y trouve une langue expressive et pittoresque, remarquable par l’abondance et l’éclat des images, par les contrastes saisissans que produit la réunion de tant d’élémens divers. Les molles consonnances italiennes, les sons gutturaux, vagues et prolongés des langues orientales, les termes âpres et sauvages de l’albanais s’y mêlent sans cesse aux expressions sonores, amples et mélodieuses du grec pur. Antique par le fond, barbare à la surface, correcte et magistrale dans son essence même, fantasque et déréglée dans ses détails extérieurs et dans ses accessoires, semblable en quelque sorte à ces bas-reliefs qui gisent au pied du Parthénon, dont les formes divines, ensevelies sous une couche de limon et de mousse, ne demanderaient qu’un peu de travail et de soin pour reparaître avec toute leur perfection sculpturale, cette langue est le symbole caractéristique de l’état social où le peuple qui la parle est resté plongé pendant plusieurs siècles.

Dès que cette situation a changé, dès qu’avec l’indépendance les Grecs ont vu les conditions morales et matérielles de leur existence se transformer radicalement, ils ont voulu effacer tout vestige du temps de l’esclavage, non-seulement dans leur législation et dans leurs mœurs, mais jusque dans leur vocabulaire. Les hommes qui se mirent alors à la tête de ce mouvement littéraire eurent à éviter un dangereux écueil : on pouvait craindre en effet qu’ils ne se laissassent aller à une réaction trop violente en voulant créer de prime-saut une langue si pure, si correcte, si éloignée de la langue vulgaire, que le peuple ne l’eût pas comprise, et ne se la fût jamais appropriée ; mais ils eurent soin de ménager les transitions et de se tenir sans cesse à la portée de l’intelligence commune. Aussi la renaissance des lettres en Grèce offre-t-elle jusqu’à ce jour deux périodes bien marquées. La première transformation, qui fait suite immédiate aux guerres de l’indépendance, ne diffère du style et du génie demi-barbares des improvisateurs populaires que par l’absence des solécismes grossiers et par une composition moins inculte ; l’autre, qui s’accomplit maintenant, accuse un progrès immense sur la précédente : la