Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/223

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un capitaine. M. Rangabé est à peu près le seul des poètes lettrés de la Grèce qui les ait suivis aussi loin dans le domaine de la pure fantaisie. Il appartient donc tout à la fois à l’ère des improvisateurs par le genre de quelques-unes de ses meilleures compositions et à l’ère moderne par le tour moins abrupt qu’il sait donner à sa pensée, comme par l’époque à laquelle il a publié ses œuvres. Aussi, tout en nous reportant aux temps primitifs, où la poésie naissait entièrement de l’instinct populaire, nous ramène-t-il sans effort à l’époque où les lettres sont devenues en Grèce l’objet d’une étude approfondie et raisonnée, et de laquelle date la renaissance qu’on s’est proposé de suivre ici dans ses diverses phases et dans ses rapides progrès.


II

Le poète George Zalokostas, né à Janina quelques années avant le commencement de l’insurrection grecque, personnifie de la façon la plus accentuée l’époque de transition qui suivit immédiatement les guerres de l’indépendance. L’exceptionnelle énergie de la race belliqueuse à laquelle il appartient, la sauvage beauté des sites qui entourèrent son enfance, les mélancoliques vallons de Paramythia, les roches sanglantes de Souli, les forêts sombres de Dodone et les alpes verdoyantes du Pinde, où s’écoula tour à tour sa jeunesse, toutes ces influences expliquent la sève et l’originalité de son talent, le rhythme vigoureux de son vers, l’harmonie un peu barbare de sa poésie. Sa muse s’est éveillée au bruit du combat, à la lueur des feux nocturnes du liméri[1]. Zalokostas ne fut pas un des derniers à prendre les armes ; ses œuvres laissent voir à chaque instant le klephte à côté du poète. Il décrit avec prédilection les habitudes et les passions guerrières, les luttes corps à corps, ces combats disproportionnés où l’audace et la ruse donnaient presque toujours la victoire au plus faible. Le Khan de Gravia, par exemple, est le récit d’un de ces brillans épisodes que l’histoire n’a pas coutume de relever, mais que la poésie aime toujours à recueillir et à parer de ses commentaires.


« En face de Gravia, la montagne retentit du bruit des instrumens ; les armes d’or étincellent, les foustanelles blanches s’agitent. Par une pente oblique et rapide, un chœur de soldats descend ; la flûte aux sons aigus accompagne leur voix. C’est Odyssée aux pieds légers qui les conduit ; il se dirige vers le khan, et il couve dans son sein un projet audacieux.

« — Valeureux compagnons, dit-il, c’est ici que la patrie vous appelle ;

  1. Camp ou bivouac dans les montagnes.