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« Despo compte le nombre de ceux qui reviennent, elle en compte douze, elle compte encore : un seul manque, elle tremble ; mais bientôt elle reconnaît Kentros, Lamprinos et Chloros. Déjà l’esquif, ralentissant la rapidité de sa course, approche de la terre, et Despo, tirant de son sein des fleurs récemment cueillies, les répand, précieuse récompense, sur le groupe des vainqueurs.

« Puis elle jette sur un cadavre trois odorantes tubéreuses. Généreux Dimaras ! quel est le cœur que ta mort laisse solitaire ? quel est le flambeau nuptial que ton trépas éteint ? Que n’ai-je pu, moi aussi, parcourant le champ de bataille d’un pas rapide, mais combattant pour une meilleure cause, mourir et recevoir pour prix de ma valeur des fleurs tombées des mains de ma bien-aimée ! »


La dernière œuvre de Zalokostas fut couronnée par l’académie d’Athènes ; cette couronne ne s’adressait plus qu’à une tombe : le poète était mort depuis quelques mois, sans avoir joui du triomphe qui consacrait la célébrité et la popularité de son nom[1].


III

L’idiome vulgaire qu’a employé Zalokostas n’est plus celui des poètes athéniens de nos jours. Depuis trente ans, cet idiome s’est peu à peu modifié ; il s’est débarrassé des locutions étrangères et des empreintes barbares qui le défiguraient ; il s’est transformé progressivement en une langue pure, grammaticale, mélodieuse, qui se perfectionne et s’enrichit chaque jour en puisant aux trésors du dialecte antique. L’école dont fait partie Zalokostas, et que les Athéniens appellent vulgariste, cède la place à un nouveau cycle qui compte parmi ses poètes les plus corrects et les plus élégans M. Orphanidis. Ce dernier est de Smyrne ; par la forme, la couleur et l’image, il diffère du poète de Janina autant que le ciel voluptueux et doux de sa patrie diffère du ciel austère de l’Épire. Au fond, la source de son inspiration est la même ; mais le théâtre et la mise en scène changent et se revêtent d’une parure plus harmonieuse et plus étudiée. Du sauvage séjour habité par les klephtes, nous entrons

  1. Zalokostas avait de son vivant publié dans la Pandore un certain nombre de pièces détachées. Après sa mort, ses œuvres ont été recueillies en 1859 par les soins de quelques amis et de sa veuve. Celle-ci a inscrit en tête du volume les lignes suivantes : « En publiant les œuvres complètes de mon bien-aimé Zalokostas, je regarde comme mon premier devoir de remercier la patrie du concours si délicat et si généreux qu’elle a prêté à cette publication. L’enthousiaste coopération de mes compatriotes, l’empressement de tous à subvenir aux frais de cet ouvrage, sont la plus douce récompense que puisse envier l’ombre de mon Zalokostas, le plus grand honneur fait à sa mémoire, la fierté de mes tristes et derniers jours. Cette œuvre est donc la propriété de la nation ; c’est un enfant orphelin qu’elle adopte, et que je lui confie tout baigné de mes larmes. »