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son voile sur la nature, les klephtes sortirent des bois et s’avancèrent sans bruit contre la tour de Pétra. »


Le Vénitien, toujours sur ses gardes, fait à ses ennemis une énergique résistance. Bientôt la porte extérieure est enfoncée ; mais une seconde, plus pesante et plus massive que la première, s’oppose aux assaillans. Le sabre et l’arquebuse étant inutiles, ceux-ci prennent des armes de cyclopes, et, doués comme tous les héros populaires d’une force surnaturelle, ils lancent des quartiers de roches et des troncs d’arbres contre la muraille de fer. Phloros est le plus acharné, car, à travers le bruit du combat, la voix d’Anna se fait entendre. La seconde porte cède à son tour, et les assiégeans poussent un cri de victoire ; mais un spectacle terrible les arrête. L’intérieur de la tour est en feu, les flammes la parcourent du sommet à la base, les poutres s’écroulent, et les défenseurs de ces murs ont disparu comme par enchantement. Saisis d’un superstitieux effroi, les klephtes croient au sortilège ; persuadés qu’ils ont eu affaire à des démons subitement rentrés, dans leurs domaines souterrains, ils reculent, lorsque Phloros distingue un bruit de chevaux galopant à travers la plaine ; il regarde et aperçoit aux lueurs de l’incendie une légion de rouges fantômes qui fuient du côté de Thèbes. Il s’élance à leur poursuite et reconnaît au dernier rang, sur un même coursier, sa pâle fiancée et son redoutable ennemi. Il s’arrête, arme sa carabine en invoquant la Vierge, met un genou en terre pour mieux viser et tire. Le cheval est touché, il roule dans la poussière ; mais le cavalier se relève en brandissant un cimeterre. Phloros reprend sa course. Il arrive ; hélas ! il ne retrouve plus que le cadavre sanglant de sa bien-aimée, et près d’elle l’arme de son meurtrier. — Depuis ce jour, on ne revit plus dans le pays aucun des acteurs de ce drame ; il n’en reste comme souvenir, avec la tour incendiée, démantelée, fréquentée par de lamentables apparitions, que la tombe de la jeune fille, creusée par des mains inconnues, et sur laquelle s’épanouit un grand rosier qui ne cessa jamais de porter des fleurs.

Là se termine la légende telle que les habitans de l’ancienne Béotie la racontent, et l’on aime ce dénoûment vague où les personnages s’évanouissent comme les ombres d’un rêve ; mais M. Orphanidis a voulu continuer l’aventure : il fait partir Phloros pour l’Italie. Phloros, arrivé à Venise, apprend qu’Antonelli est condamné à mort pour de nouveaux crimes ; il demande à remplir l’office de bourreau, et tranche de sa propre main la tête du coupable en prononçant le nom d’Anna. Puis il revient en Grèce et s’en va dans le monastère de Saint-Lucas demander aux austérités de la vie religieuse l’oubli du passé ; mais il ne tarde pas à reconnaître le vieux Lampros lui-même dans l’hégomène du couvent. Ne pouvant supporter cette vue,