Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/253

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

encore que les journaux anglais remplissent souvent avec les discours du parlement quinze ou vingt de leurs colonnes. Dans les pays où l’opinion fait les lois, elle dédaigne parfois d’exiger l’abrogation matérielle de celles qu’elle a souverainement frappées de désuétude. Jusqu’à la fin de la guerre d’Amérique, les journaux anglais ne purent publier ouvertement les discours des membres du parlement. Il est vrai que depuis longtemps ils avaient pris un bizarre détour pour échapper à l’interdiction légale : ils imaginaient un sénat de convention où ils donnaient la parole à des orateurs de l’antiquité. L’illustre docteur Johnson, au début de sa carrière, a fait parler ainsi bien souvent, dans des harangues qu’il improvisait sur la table d’un café, les grands orateurs de cette époque, Pulteney, Wyndham, Robert Walpole, Carteret et le premier Pitt, en les baptisant de noms grecs ou romains ; mais la presse française ne pourrait s’acheminer avec sécurité et dignité par de pareils subterfuges à la liberté certaine. Les besoins pratiques et l’activité de notre époque ne s’accommoderaient point de ce procédé fantasque ; notre goût littéraire n’aimerait pas à chercher pour la politique contemporaine un langage maçonnique dans Tite-Live ou dans les vies de Plutarque, et ce serait une pédanterie ridicule et périlleuse que d’habiller pour le public les membres de notre corps législatif et les orateurs du gouvernement en Scipions ou en Gracchus, en Catilinas ou en Cicérons. Espérons que nous rattraperons les Anglais par un chemin plus droit et plus court que celui qu’ils ont suivi. Pourquoi la difficulté que nous avons signalée dans les rapports de la presse avec le corps législatif ne serait-elle pas résolue par un commentaire net et complet de la législation de la presse ? Il y a là un sujet bien digne d’attirer l’attention et de susciter les travaux de nos légistes les plus distingués. Le sénat et le corps législatif comptent d’éminens jurisconsultes qui pourraient avec une autorité décisive nous donner l’utile et lumineux commentaire que nous réclamons.

En attendant qu’un guide sûr se charge d’édifier notre ignorance, nous sommes réduits à imiter la réserve de nos prudens confrères. Nous nous tairons donc sur le débat auquel a donné lieu un chemin terrible, le chemin de fer de Béziers à Graissessac, et, ce qui nous coûte davantage, nous nous abstiendrons de prendre part à la discussion de la réforme commerciale, discussion à laquelle l’organe de la commission chargée d’examiner la loi qui dégrève les droits sur les laines, l’honorable M. Pouyer-Quertier, a fourni pour point de départ un rapport dont nous ne partageons pas les idées économiques, mais dont nous ne saurions méconnaître la valeur et la portée. Dans cette épreuve parlementaire, qui ne peut être dangereuse, nous accompagnons de nos vœux la réforme commerciale. Nous voudrions hâter le moment où commencera l’expérience du dégrèvement des objets de grande consommation, des matières premières, et où l’on pourra passer à l’exécution du traité de commerce.

Ce traité et les grandes mesures financières qu’il a inspirées à M. Gladstone sont la seule bonne fortune que le ministère anglais ait rencontrée depuis le