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meilleure diplomatie est celle des relations, et qu’aucun succès militaire ne vaut la conquête d’un débouché. Il préludait ainsi aux joutes qu’à quelques années de là il devait engager sur l’estrade des réunions publiques. L’écrit de M. Cobden, qui fit quelque bruit, fut suivi d’un second sur le même sujet[1]. On trouvait piquant qu’un écrivain sorti de la fabrique donnât des leçons à des publicistes émérites et opposât à leurs jactances le langage du bon sens. On sut gré aussi à M. Cobden d’avoir pris la défense de l’intérêt commercial contre des déclamations au moins intempestives. Désormais son nom prit de la notoriété. On s’accordait à dire qu’il y avait dans cet homme plus que l’étoffe d’un manufacturier, et que le discernement qu’il avait montré dans la conduite de ses affaires privées l’accompagnerait dans l’étude et la discussion des affaires publiques.

C’est surtout parmi la jeune population des fabriques que M. Richard Cobden avait trouvé des partisans, et il employa son influence au profit d’une classe à laquelle il avait longtemps appartenu. L’instruction technique était en honneur à Manchester ; dans une ville d’affaires, ce qui domine, c’est l’utilité. La culture intellectuelle et morale était plus négligée, elle manquait d’un foyer public. Secondé par quelques amis, M. Cobden fonda un athenœum où, après leur tâche remplie, les employés purent trouver des distractions moins coûteuses et plus profitables que celles des tavernes et des cafés. Des moyens d’étude y étaient mis à la disposition de ceux qui éprouvaient le besoin d’orner et de perfectionner leur esprit ; aux autres on avait ménagé des délassemens variés ; pour tous, c’était un point de réunion où ils s’éclairaient par l’échange des idées et se formaient par la meilleure des disciplines, l’esprit de corps. Nulle part le succès de ces institutions, si nombreuses en Angleterre, n’a été plus grand que dans le comté de Lancastre. M. Richard Cobden eut les honneurs de la séance d’ouverture ; il y fit son début dans l’art de l’improvisateur. C’était une épreuve qu’il n’affronta point sans émotion. Rien dans sa carrière ne l’y avait préparé ; il n’avait pour s’inspirer qu’une faculté naturelle, encore en germe : il répugnait à l’emphase, aux formes académiques, dont l’éloquence anglaise ne s’était pas dépouillée ; il ne voulait réussir que par la simplicité unie au bon sens. Ainsi disposé, il occupa la chaire, ira raconté plus tard que la vue de cet auditoire, redoutable dans son recueillement, lui enleva jusqu’à la conscience de ses paroles. Un nuage passa devant ses yeux, et il eût quitté la partie si les forces de sa volonté n’eussent dominé cette défaillance. Il acheva néanmoins son discours, mais sous l’empire d’une telle obsession que le lendemain seulement et par la lecture des journaux il sut ce qu’il avait dit : singulier début pour un

  1. Russophobia, chez Tait.