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payé les locations, bâti la grande salle de Manchester, soldé en un mot les dépenses de l’agitation, qui s’élevaient à 47, 814 liv., comptes en main. Un troisième appel de 100,000 livres (2,500,000 francs) fut résolu, et tel était l’élan qu’en moins d’une semaine Manchester fournit pour sa part 21,000 livres. Dans les villes et les comtés voisins, en Angleterre comme en Écosse, l’empressement n’était pas moins grand : les recettes dépassaient toute attente. Pour la première fois le Times s’émut. Jusque-là il n’avait traité l’agitation que comme un badinage et parlé de la ligue que pour la bafouer : l’élection de Londres et la marche de la souscription publique amenèrent un de ces retours qu’il exécute à propos ; habitué à tâter l’opinion, il comprit de quel côté elle allait. « La ligue est un grand fait, dit-il ; bien fou serait celui qui en contesterait l’importance… Un nouveau pouvoir s’est élevé dans l’état. » Les autres feuilles se mirent à l’unisson, et il fut bientôt avéré que la ligue était à la fois un grand fait et un nouveau pouvoir. Qu’on la blâmât ou qu’on l’approuvât, il n’en fallait pas moins la reconnaître comme une expérience, consistante. Elle s’introduisait dans les rangs les plus élevés. M. Loyd lui restait fidèle, M. Marshall de Leeds, un des plus riches manufacturiers du pays, se rangeait sous ses drapeaux ; le marquis de Westminster joignait à son adhésion un envoi de 500 livres pour le fonds commun ; les comtes Radnor et Fitzwilliam s’étaient depuis longtemps ralliés, et lord Morpeth, avec l’autorité de sa parole et de son caractère, confessait à Wakefield sa foi aux doctrines du libre échange devant une réunion où trente-sept villes du West-Riding étaient représentées.

Le parlement seul résistait. À l’ouverture de la session de 1844, il fut aisé de voir que rien ne serait changé dans le régime en vigueur. Le discours de la reine se taisait sur la loi des grains, et lord John Russell ne releva cette lacune que pour insister sur l’établissement d’un droit fixe. Peu de jours après, M. Cobden réclama à son tour une enquête sur les effets du droit protecteur au point de vue des intérêts des cultivateurs et des fermiers. À l’appui, il citait un rapport des commissaires de la loi des pauvres, dans lequel les misères des campagnes étaient décrites avec autant de force que de vérité : ici, une chaumière avec une seule pièce où couchaient vingt-neuf personnes ; là, un ménage chargé de six enfans et vivant avec 8 shillings par semaine ; partout des privations inconnues, même dans les maisons de travail ouvertes aux indigens. Quelque émotion qui s’attachât à ces tableaux, la chambre des communes vit où une enquête pouvait la conduire, et ne se laissa pas entraîner. M. Cobden revint à la charge, et dans la session suivante il reproduisit sa motion en se fondant sur de nouveaux motifs. D’après lui, la protection était impuissante à garantir ceux en faveur de qui elle était