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trangers peuvent nous fournir leurs peaux, leur poil, leurs cornes, leur queue, tout, excepté leur chair. » Le premier ministre essuyait la mauvaise humeur des uns et l’ironie des autres sans se départir de la marche qu’il s’était tracée ; aller plus loin, c’eût été rompre avec les siens sans désarmer ses adversaires. Il ne devait toucher aux grains que sous l’empire d’une nécessité bien démontrée. Les agitations du dehors le fatiguaient sans l’ébranler. À mesure que la saison avançait, ces agitations devenaient plus intenses. Les fermiers s’y associaient ; on discutait dans les campagnes comme dans les villes ; on s’y prenait à maudire cette loi dont on se faisait naguère une planche de salut. À Londres même, le mouvement gagnait du terrain : un comité de dames s’y était formé pour renouveler l’expérience qui avait si bien réussi à Manchester. Un bazar fut ouvert avec un droit d’entrée et une vente des objets exposés. Le théâtre de Covent-Garden, transformé en salle gothique, reçut une collection d’objets qu’avaient généreusement fournis les villes manufacturières : des tissus de Manchester, des ouvrages de Colbroodale en fer et en fonte, des instrumens agricoles et des aciers de Sheffield. Parmi les singularités figuraient une pièce de mousseline fabriquée par le père de sir Robert Peel, un gâteau monstre du poids de trois cents livres, et une mèche de cheveux de Walter Scott. Les devises du libre échange avaient été prodiguées sur les panneaux ; les portraits de MM. Cobden, Bright et Villiers se retrouvaient sur tous les murs, sur les étoffes, sur les bronzes, et jusque sur les articles des confiseurs. La foule accourut pour jouir du coup d’œil et faire des emplettes. L’exposition dura dix-sept jours, sans que la curiosité publique fût assouvie. La recette s’élevait à 25,000 livres (plus de 625,000 francs).

En même temps, lord John Russell recommençait les hostilités en proposant au cabinet huit points à résoudre, parmi lesquels se trouvait la question des grains ; de son côté, M. Villiers renouvelait sa motion. Sir Robert Peel n’eut pas de peine à battre l’un et l’autre, le premier en lui prouvant qu’à beaucoup embrasser il n’avait rien su étreindre, le second en l’invitant à renoncer à une proposition tant de fois condamnée. Cependant, vers la fin de la session, le langage du premier ministre était moins fier et moins hostile ; il se défendait plus mollement, il faisait des réserves, il éprouvait des scrupules. S’il se refusait aux conséquences du principe qu’il avait posé, il ne contestait pas qu’un jour, par la force des choses, ce principe ne pût être pleinement appliqué. C’est qu’il y avait alors dans l’air comme un présage d’événemens prochains. Cette réforme, à laquelle résistaient les hommes, semblait être entrée dans des desseins plus hauts que les leurs. Au mois d’août 1844, quand le parlement se sépara, de vives inquiétudes régnaient au sujet des récoltes. La saison