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habituelles. Tenez, je connais le pays aussi bien qu’aucun de vous, et je vous affirme en son nom qu’il ne vous donnerait pas la majorité. Votre parti y est en pleine dissolution. Il y a bien encore dans les comtés du nord Une phalange qui vous est acquise, mais elle appartient plus au premier ministre qu’elle ne vous appartient. Combien des vôtres se sont ralliés à la liberté du commerce ! Combien m’ont dit : « Sir Robert Peel nous la donnera ! » Mais j’admets, par hypothèse, que vous ayez une majorité. Voyons ce que serait cette majorité, voyons, en même temps quelle minorité vous auriez en face. » Et M. Cobden mit alors au défi les conservateurs de rallier à leurs opinions une seule ville de plus de vingt mille âmes. Des rires et des dénégations accueillant ses paroles : « Bon, répondit-il, riez maintenant comme les enfans sifflent dans un cimetière pour se donner du courage ! Je vous répète qu’aucune ville de vingt mille âmes ne sera pour vous. Il est bien vrai que vous avez vos bourgs de poche et vos nominations de comtés. Supposons encore que ces comtés et ces bourgs vous fournissent une majorité de vingt ou de trente membres ; mais d’un côté seront les représentans de Londres et de toutes les grandes cités, des comtés les plus riches et les plus industrieux ; de l’autre ceux de vos Ripons, Stamfords, Woodstooks, Marlboroughs et autres méchantes bourgades : croyez-vous que vous vous sentiriez en force pour maintenir, malgré le vœu du pays, des lois qui prélèvent sur ses alimens une taxe désormais condamnée ? Non, vous n’y tiendriez pas une semaine, et vous seriez obligés de nous ouvrir les portes toutes grandes pour vous donner ce qui vous manque et vous manquera toujours, la puissance de l’opinion ! »

Après dix-sept jours de discussion acharnée et à la suite des trois lectures, la chambre des communes adopta, à 98 voix de majorité, le plan de sir Robert Peel ; 106 conservateurs seulement se rangèrent de son côté ; les autres, au nombre de 222, se séparèrent ouvertement de lui. Les whigs et les radicaux lui furent en revanche fidèles, et on le conçoit : le ministre avait fait leurs affaires et ne triomphait que sur les débris de son propre parti. À la chambre des lords, les mesures passèrent à une majorité de 47 voix sur un discours de lord Wellington. Le plan de sir Robert Peel avait traversé toutes les épreuves ; le 26 mai 1846, il devenait la loi du pays. Désormais sir Robert Peel et M. Cobden devaient faire assaut de bons procédés. À cinq semaines de là, sir Robert Peel expiait sa victoire ; la majorité à laquelle il avait fait violence se reformait contre lui à propos, d’un bill sur l’Irlande. Lord Bentinck la ralliait à grand renfort d’invectives ; il conviait ses amis, dans un langage amer, à chasser le ministre du pouvoir ; il voulait le laisser seul ou presque seul entre la défection des siens et l’abandon des whigs, qui déjà