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dépenses exorbitantes qu’exigent le renouvellement du matériel naval, l’entretien de la milice, l’augmentation des troupes soldées, le complet état de la défense des côtes, et ils se disent qu’un système qui a rendu ces sacrifices possibles sans ébranler la richesse publique, sans troubler le crédit, est une de ces bienfaisantes inspirations qui arrivent aux peuples qui en sont dignes et qui savent en tirer parti.

Il n’est pas jusqu’aux violens adversaires de la réforme qui n’aient été désarmés par le spectacle de ces faits. Vainement chercherait-on aujourd’hui, parmi les fermiers et les propriétaires du sol, un homme qui voulût en revenir au régime dont ils ont si longtemps plaidé la nécessité. Comment ce retour d’opinion a-t-il eu lieu ? Par la meilleure des leçons, celle de l’essai. L’agriculture, quoiqu’elle s’en défendît, s’endormait dans la routine. Menacée par la concurrence étrangère, elle s’est réveillée ; elle a, comme on le lui conseillait, appliqué au sol les procédés de la manufacture ; elle a mieux étudié l’instrument qu’elle avait entre les mains, elle en a vu les points défectueux, les a corrigés, et, à l’aide du capital et du travail, a augmenté le produit en diminuant la dépense. Sur ses propres fonds ou avec les prêts que le parlement avait consentis, elle a drainé les terres, assaini les palus, attaqué les landes, varié ses cultures, amélioré ses méthodes, vérifié le mérite de ses exploitations par le contrôle d’une comptabilité régulière. De là une force, une vigueur dont elle n’avait pas la conscience, et qui la constituent en profit là où naguère elle n’avait que des pertes. Ainsi armée, elle a attendu ces denrées exotiques dont elle croyait avoir tant à redouter. De ce côté-là se produisait le phénomène contraire. Ces greniers du dehors, que l’on présumait inépuisables, n’avaient à offrir que des approvisionnemens limités. Avilis quand ils étaient peu demandés, les grains se relevèrent par l’effet de demandes soutenues, et il fut bientôt visible que l’équilibre s’établirait entre les marchés de provenance et les ports de destination. C’est une loi constante qui des livres a passé dans les faits. L’agriculture anglaise produisant à plus bas prix, les pays étrangers vendant plus chèrement ont fini par trouver leur point de rencontre. Personne n’y a perdu, tout le monde y a gagné, la France plus que qui ce soit en versant dans les entrepôts du royaume-uni les excédans de ses récoltes de l’ouest. Les subsistances de l’Angleterre étaient assurées sans qu’elle eût rien compromis, rien sacrifié. Elle a pu recevoir jusqu’à dix millions de quarters de grain dans une année sans que les prix de ses marchés aient fléchi de manière à mettre en échec sa richesse rurale. En 1835, en plein privilège, les blés étaient descendus jusqu’à 39 shillings le quarter ; avec la liberté, ce prix ne s’est rencontré