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de défense. Ces recherches le laissaient dans une inquiétude incurable sur les finances du pays, inquiétude que les événemens n’ont que trop justifiée. De 13,961, 245 livres allouées en 1844, les services de terre et de mer sont arrivés en 1860 à 29,700 livres, sans compter les deux budgets de guerre de 1855 et 1856, — l’un de 48,392,045 livres, l’autre de 78,113,055. Si les recettes ont augmenté, les dépenses ont augmenté dans une proportion incomparablement plus forte, et M. Gladstone a dû dire récemment à la chambre des communes, en forme d’avertissement : « Entre les années 1842 et 1853, l’accroissement de la richesse générale a été dans la proportion de 12 pour 100 et l’accroissement des dépenses publiques dans la proportion de 8 3/4 pour 100. Entre les années 1853 et 1859, la richesse, prenant un bel essor, s’est bien accrue de 16 1/2 pour 100 ; mais les dépenses ont augmenté de 58 pour 100. Telle est la situation en toute sincérité. » Devant de pareils chiffres, comment se défendre d’un peu d’humeur ? comment ne pas remonter à la cause de ces sacrifices ?

La justice est en cela d’accord avec l’intérêt ; M. Cobden s’est efforcé de l’établir par des preuves historiques. Il a choisi pour exemple cette déplorable prise d’armes de 1793, qui, sauf de courtes trêves, mit l’Europe en feu pendant vingt-deux ans, versa le sang humain à flots et causa des plaies financières que quarante années de repos n’ont pas encore guéries. Le sujet, traité en trois lettres adressées à un pasteur, forme un petit volume[1] où abondent des faits curieux. L’auteur y montre la marche pour ainsi dire irrésistible des ruptures entre les états ; il nous fait assister à celle où figurèrent, comme agens principaux, lord Grenville d’une part, le marquis de Chauvelin de l’autre. La correspondance et jusqu’aux billets confidentiels sont cités en détail ; on peut juger, on peut conclure. La conclusion de M. Cobden est formelle ; il n’hésite pas à mettre les torts du côté de l’Angleterre, et pense qu’avec un peu plus de bonne foi et des façons plus conciliantes, cette guerre, qui allait durer jusqu’à épuisement, aurait pu être conjurée dès le début. Comment fut-on amené à rompre ? Par des degrés presque insensibles. Ce n’était d’abord que de l’esprit de dénigrement, quelques écarts de langage, plus marqués dans la presse, plus contenus à la tribune ; puis le ton s’aigrit, on s’accusa de griefs réciproques, on s’observa avec défiance ; les armemens commencèrent et furent poussés avec vigueur, les notés diplomatiques s’envenimèrent, et cela au point qu’il fallut en venir à une déclaration d’hostilités. Les mésintelligences s’étaient engendrées les unes les autres ; une fois la série commen-

  1. 1793 et 1853 in three letters, 1 vol. in-8o.