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où les deux nations mettent leur argent et leur génie à se surveiller et à se tromper, et qu’ainsi seulement on ferait passer dans les actes une alliance qui jusqu’alors n’avait été que sur les lèvres.

La proposition échoua, on le devine, et il est aisé de s’expliquer cet échec. Une nation ne se lie pas ainsi les mains sans émousser sa force ni s’exposer à des surprises. Une difficulté déjà grande existe dans le point de départ. Limiter les armemens, soit ; mais comment, dans quelle proportion ? L’Angleterre a la prétention d’avoir une marine supérieure d’un tiers aux marines européennes réunies. Est-ce une donnée admissible ? L’admît-on, il s’agirait encore de savoir sur quoi reposerait ce calcul. Serait-ce dans le nombre des navires, dans le nombre des canons, dans la puissance des machines ? Aucun de ces élémens ne fournit une certitude complète : pris à part, on n’en dégagerait pas la valeur exacte, l’unité appréciable, et, à les combiner, les embarras et les mécomptes seraient plus grands ; tout se réduirait certainement à des approximations où chacun chercherait à faire pencher la balance de son côté. Tombât-on d’accord, ce qui est douteux, il faudrait s’entendre sur un autre point. Cette marine ainsi limitée serait-elle une marine immobile ? Lui serait-il interdit d’appliquer à son matériel réglementaire des perfectionnemens qui en accroîtraient la puissance ? Si elle reste libre d’agir, l’inégalité recommence, et le jeu des rivalités se représente sous une autre forme. Si on l’enchaîne, on n’a plus qu’un art naval stationnaire, voué au dépérissement et atteint dans sa dignité. Enfin où est la sanction d’un tel régime ? Le pacte conclu, encore faut-il savoir comment il sera observé. Un contrôle est donc nécessaire. Ce contrôle, comment l’exercer sans froissemens, et, si on ne l’exerce pas, où sont les garanties ? Il ne reste que la bonne foi des parties contractantes. Évidemment ce n’est point assez : au premier soupçon, fondé ou injuste, les méfiances se réveilleraient, et la guerre naîtrait des précautions mêmes qu’on aurait prises pour l’éloigner.

Par ce détail, on peut voir quelle inexpérience apportaient les amis de la paix dans ces questions délicates et compliquées. L’intention était droite, honnête ; elle ne suffisait pas pour racheter le vide des moyens. Ils n’avaient plus là, comme pour les matières de commerce, l’autorité d’hommes du métier, ayant réponse à tout, allant au-devant des objections pour les écarter ou les résoudre. Leur point d’appui était dans une force d’emprunt, dans des généralités qui supportaient mal l’examen, dans des plans dont l’œil le moins exercé eût découvert les lacunes. Quel fonds faire sur de tels ballons d’essai ? Il n’en faut pas moins savoir gré à M. Cobden et à M. Bright du langage qu’ils ont tenu au sujet de la France dans