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V


Il n’en sut pas moins de gré au cabinet d’une offre qui aurait pu être une charge et qui restait un honneur. Dans des conditions plus libres, il ne renonça point à l’appuyer et à le servir. L’occasion s’en présenta bientôt. Sa santé ne lui permettait plus d’habiter l’Angleterre pendant l’hiver ; il fallait à sa poitrine un air plus doux et une température plus égale. Dès les premiers jours d’octobre 1859, il passa en France. Ceux qui l’ont vu alors savent que le hasard est pour beaucoup dans l’événement qui a marqué son séjour. Il ne venait à Paris que pour rejoindre ses enfans, qui y achevaient leur éducation. Un entretien avec le chancelier de l’échiquier, M. Gladstone, était le seul élément qu’il eût emporté de Londres ; il n’avait ni mission précise, ni caractère officiel. Ce fut librement, sur sa propre inspiration et sous sa responsabilité seule, qu’il fit les premières démarches pour un rapprochement de l’Angleterre et de la France sur le terrain commercial. Dévoué à ses idées, il ne résistait pas au désir de les introduire partout où elles étaient méconnues. Le besoin d’agir, de paraître, qui avait sommeillé pendant trois ans, s’était réveillé chez lui. Il vit ses amis, sonda le terrain, avec peu d’espoir d’abord, puis avec plus de confiance. Dès le début, il comprit où était le véritable levier, et, écartant les scrupules, il y eut recours en homme qui tient moins à la forme qu’au fond. L’agitation en France ne pouvait pas avoir un caractère libre et populaire ; c’est dans les sommets du gouvernement que M. Cobden la transporta. Il lui était réservé de réussir deux fois au prix des plus manifestes contrastes. La pensée d’un traité de commerce entre les deux nations avait été souvent mise en avant, puis abandonnée ; on la reprit dans l’intention de la faire aboutir. Sur ce point, les institutions en vigueur sont sobres de formalités ; les traités de commerce restent pour la France en dehors des délibérations ordinaires et entrent dans les attributs de la souveraineté. Il s’agissait de convaincre quelques hommes dont les conseils avaient du crédit, et qui avaient qualité pour les faire entendre. Pendant six semaines, M. Cobden s’en occupa ; le terrain était plus facile, mieux préparé qu’il ne l’imaginait. Dès ce moment, l’affaire prit un autre tour ; des énonciations précises remplacèrent les termes assez vagues dans lesquels on s’était d’abord renfermé. Les points de détail furent débattus, réglés, sans qu’il s’élevât de difficulté sérieuse ; des deux côtés, le désir de conclure dominait les négociations. L’Angleterre abolissait, sauf deux ou trois réserves, tous les droits sur les- objets manufacturés ; elle réduisait dans une large proportion les droits sur les eaux-de-vie et les vins ; sur quel-