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épuisement des forces. Son visage pensif semble réfléchir un travail intérieur ; il ne s’anime que sur les sujets qui le touchent. S’il a de l’ambition, elle se déguise sous une modestie naturelle et une simplicité de manières qui ne sont pas sans charme. On voit un homme qui se contient ; rien du tribun populaire, comme on se le figure sur ce mot. Ce calme et cette réserve ont désarmé bien des préventions. Quand il entra aux communes, son nom ne se séparait pas des vivacités de langage qui accompagnent les luttes extérieures. Peu à peu, par sa modération, il a gagné ceux qui l’ont mieux connu et ramené les autres à des sentimens moins hostiles. Il n’est plus au parlement comme un homme qui en a forcé les portes ; il est de la maison, et on compte avec lui. A-t-il pour cela l’étoffe d’un homme politique ? Il s’en défend, et il a raison. Un homme vraiment politique se classe mieux et d’une manière plus nette que M. Cobden ne l’a fait. Il est des choses auxquelles il se résigne, d’autres dont il sait se défendre. Même en vue d’un succès, il n’accepterait pas certains compromis, il ne prendrait point de toute main ce qui flatte ses idées favorites. Pour l’homme politique, il y a plus que des devoirs de conscience, il y a des devoirs de parti ; il y a aussi cet esprit de discipline qui crée les liens, réprime les écarts et constitue la force. Comme l’armée, la politique a ses cadres : rester en dehors, ne relever que de soi, est un moyen de se mettre mieux en vue, mais on y perd les bénéfices de la règle en courant les risques de l’isolement.

Il est vrai que, si M. Cobden n’est pas d’un parti, il est d’une école avec M. Bright et M. Milner Gibson. Que veut cette école ? où va-t-elle ? que se propose-t-elle ? Il serait difficile de le dire au milieu des contradictions qui s’y montrent. Elle a tout à la fois des appétits effrénés de liberté et de singulières faiblesses pour le despotisme. Ces mélanges adultères répugnent à des esprits sincèrement libéraux. Il faut qu’une école, puisque école il y a, sache se respecter elle-même si elle veut être respectée, qu’elle se garde des mauvaises alliances, ne frappe pas à tort et à travers, au gré du caprice ou d’on ne saurait dire quel intérêt du moment ; il faut surtout qu’elle distingue nettement ses amis et ses ennemis, qu’elle s’appuie sur les uns et rompe avec les autres. On n’est un parti et même une école qu’à ce prix. Au fond, chez les hommes de Manchester, le sentiment est démocratique ; c’est dans l’excès de ce sentiment qu’ils puisent leur haine pour une liberté relative, et leurs condescendances pour le despotisme s’expliqueraient par un penchant secret pour le despotisme de la multitude. Ils devraient pourtant en être guéris par le souvenir des épreuves qu’ils ont traversées, quand le chartisme grondait à leurs portes avec ses violences contre les personnes et ses attentats contre les propriétés. Voudraient-ils se con-