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mais sa beauté avait alors un éclat qui me frappa tout d’abord. Mes fonctions m’introduisaient dans la maison Noguès sur un grand pied d’intimité. Je voyais Marthe tous les jours, et je compris sans grand effroi que mes anciens sentimens pourraient bien se réveiller ; je dis sans grand effroi, car j’étais orgueilleux de ma raison, et je me croyais de force, le cas échéant, à dompter cette passion renaissante.

Dès le lendemain de mon arrivée, j’entrai dans mes fonctions de garçon d’honneur : je partis pour faire les invitations. On m’avait donné pour second un garçon farinier (Noguès a un moulin sur le grand étang) ; il se nommait Pierre et était le fils de la Chouric. Il était d’une vigueur peu commune et pouvait passer pour le plus bel homme du pays ; on l’avait vu porter sans plier les genoux un sac de blé sur chaque épaule. C’était un garçon doux, un peu endormi, mais ayant un goût prononcé pour la musique. Monté sur son mulet, il aimait à siffler les rondes du pays et faisait preuve d’un souffle puissant et d’une rare justesse d’oreille. Aussi, en entendant les grelots du mulet et l’harmonieuse mélodie accompagnée le plus souvent d’une violente batterie de coups de fouet, les filles qui travaillaient dans les champs disaient : Voilà le Muscadin qui passe. Ce surnom de Muscadin, il l’avait bien mérité ; personne ne poussait plus loin que lui le soin de sa toilette. Le fils de la Chouric était habillé de droguet blanc des pieds à la tête, comme il convient à un garçon meunier, mais il portait au cou une cravate de soie rouge ; des boutons en filigrane d’argent, de ceux que vendent les colporteurs catalans, ornaient son gilet ; son béret, d’une blancheur éclatante, était choisi parmi les plus fins de ceux fabriqués à Nay. Son mulet même se ressentait de ce goût pour la toilette, il le couvrait de grelots et de pompons. Il n’est pas étonnant que, beau et vêtu avec tant d’élégance, le Muscadin fût en grande faveur auprès des filles de Carabussan : il eût trouvé peu de cruelles ; cependant il ne fit aucune victime. Il parlait peu, et son air endormi glaçait les plus hardies. Avait-il un amour dans le cœur ? la réputation de sa mère pesait-elle sur lui ? C’est ce qu’il était difficile de savoir.

Nous partîmes équipés conformément à l’usage. Marthe nous avait attaché à la boutonnière des bouquets de fleurs artificielles et des rubans blancs. Le Muscadin me remit une paire de petits pistolets et s’arma d’un grand fouet dont il renouvela soigneusement la mèche. Que ces pistolets ne vous effraient pas ; ils devaient simplement annoncer notre arrivée devant les maisons. Quant au fouet, il devait avoir un usage plus pratique, il était destiné aux chiens, qui, n’étant pas invités à la noce, avaient un goût peu prononcé pour les grands rubans blancs et les coups de pistolet.

Le Muscadin n’était pas bavard. Il commença d’abord par siffler