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je parcourus du regard toute la salle. Ni Marthe, ni le Muscadin n’y étaient. Je n’avais pas le droit d’être jaloux ; Marthe ne savait pas que je l’aimais ! Cependant une sorte de fureur s’empara de moi, et, sans me rendre compte de ce que je faisais, je sortis décidé à trouver le Muscadin, et bien persuadé qu’il était avec Marthe. Je n’eus pas beaucoup de chemin à parcourir : dans un petit enclos attenant à la maison, j’aperçus deux formes humaines. À sa haute taille et à son béret blanc, qu’éclairait un rayon égaré de la lune, je reconnus le Muscadin ; l’autre personne était une femme. Il lui parlait, et elle semblait lui répondre par un rire contenu. Je me glissai auprès d’eux sous le hangar. Le Muscadin venait d’adresser à Marthe la question qui, dans nos campagnes, précède toute demande en mariage. — Marthe, disait-il d’une voix émue, Marthe, voulez-vous que « je vous enseigne un galant ? »

Il n’y avait plus à s’y tromper, c’était une déclaration que j’allais entendre, car chez nos paysans les préliminaires du mariage ont leur rite et leurs formules, comme le mariage lui-même.

Marthe répondit par une sorte de rire nerveux. Je m’aperçus alors que sa main était dans celle du Muscadin.

— Je vous en préviens, continua-t-il ; le galant que je vous propose est petit et laid, il est gourmand, il est fainéant…

Le rire de Marthe devint plus nerveux.

— Dites, voulez-vous du galant que je vous propose ?

— Comment voulez-vous que je prenne un pareil galant ? répondit Marthe. Si vous n’en avez que de pareils à me proposer, je n’en prendrai jamais aucun.

— Ah ! dit le Muscadin, je le savais bien !

Et il laissa tomber la main de Marthe, et déjà il se préparait à quitter l’enclos ; mais celle-ci, lui touchant doucement l’épaule : — Ne partez pas, Pierre ; celui que vous me proposez n’est ni fainéant ni gourmand : il est au contraire vaillant comme le feu, brave comme le pain et sobre comme l’eau ; mais il est pauvre, et n’a pour lui que ses deux bras et sa bonne réputation. Dites-lui que j’écouterais peut-être un galant de cette sorte, surtout s’il était le plus grand ami de mon frère.

Rien ne peut donner une idée de la joie que manifesta le Muscadin en entendant ces paroles si rassurantes ; il étendit les bras, sauta deux ou trois fois, battit un entrechat, tira sa guitare de sa poche et exécuta en quelques notes une fanfare éblouissante, puis se retourna vers Marthe pour la remercier ; mais Marthe était partie. Ce départ le rendit pensif ; il murmura quelques mots. — Peut-être ne m’aime-t-elle pas ! disait-il ; c’est ma mère qui lui aura jeté un charme ! C’est elle qui m’a dit que Marthe m’aimait ; comment l’aurai t-elle su ? — Et il s’éloigna en marchant à pas lents.