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ressemble à notre centralisation française ; elle fait peu de cas des indépendances locales ; elle les regarde comme des gênes et des embarras. Elle vise en tout à l’uniformité. Ne parlez pas aux partisans de ce genre d’unité de respecter les souverainetés locales. Une grande armée, un grand bureau, une grande caisse centrale, voilà à leurs yeux l’idéal de l’état parfait, et tant que l’Italie n’aura pas, du nord au sud et de l’ouest à l’est, les mêmes règlemens administratifs, financiers et militaires, l’unité de l’Italie ne sera pas accomplie. L’unité morale est moins dure et moins systématique. Quand un pays a la même origine, la même langue, la même religion, mais qu’il est partagé en états différens par des causes historiques et par une disposition particulière de l’esprit national, les partisans de l’unité morale essaient d’augmenter les ressemblances entre ces états différens sans viser pourtant à l’uniformité. L’unité morale, pour faire de grandes choses, n’a pas besoin d’aboutir à l’unité matérielle. Il y a un glorieux exemple de cette vérité dans l’histoire de l’Allemagne en 1813 et 1814. C’est par son unité morale qu’elle s’est affranchie. En 1848, l’Allemagne a voulu pousser cette unité morale jusqu’à l’unité politique. Elle a échoué par des causes intérieures et sans qu’aucune intervention étrangère l’ait contrariée dans les efforts qu’elle faisait pour fonder son unité politique. Ces deux grandes expériences de 1813 et de 1848 ont enseigné à l’Allemagne quelle était la puissance de son unité morale et quelles en étaient aussi les limites. Je ne dis pas que l’Italie ne soit pas plus propre à l’unité que l’Allemagne : elle l’est peut-être, quoiqu’elle ne l’ait pas montré jusqu’à ces derniers temps ; mais quel est le genre d’unité dont elle est le plus capable ? Est-ce l’unité morale, est-ce l’unité matérielle ? L’école de Gioberti visait surtout à l’unité morale, et l’intime et sincère union de la papauté avec la Sardaigne était le moyen le plus sûr de créer cette unité morale.

Faut-il aujourd’hui abandonner l’unité morale de l’Italie et ne plus songer qu’à son unité matérielle ? C’est la doctrine qui semble prévaloir en Italie ; mais la France n’est pas tenue de rien faire pour le succès de cette doctrine. Faudrait-il pour la servir laisser Rome s’annexer et se subordonner à Turin ? Qu’y gagneraient la France, l’Europe, l’Italie ? Si le pape restait à Rome, la France aurait un sujet du roi de Piémont pour chef spirituel de son église. Cette fameuse épée de saint Pierre, dont la pointe, disait-on, est partout et la poignée à Rome, où en serait la poignée ? A Turin. Ce serait le cas de restaurer bien vite toutes les vieilles libertés de l’église gallicane et de les relever pour ainsi dire jusqu’au schisme. L’Europe catholique recevrait des encycliques contre-signées par les ministres du roi de Sardaigne. Quant à l’Italie, si le pape quittait Rome, que deviendrait