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Italie, mais ils souhaitent trouver en eux des protecteurs contre la tyrannie de l’Espagne. Gregorio Leti, écrivain bavard du XVIIe siècle, mais bavard parfois pénétrant et sagace, traite dans ses Dialoghi politici des causes et des raisons qui poussent les princes et les républiques d’Italie à pencher tantôt vers la France et tantôt vers l’Espagne. « Ne serait-ce pas un bon coup, dit un des interlocuteurs de son sixième dialogue, de pouvoir chasser les Espagnols, et que l’Italie n’ait plus que des princes italiens ? » Voilà la vieille pensée de l’indépendance italienne. « Oui, répond l’autre interlocuteur, mais cela ne pourrait pas se faire sans un secours extraordinaire de la France, et la France ne voudra pas dépenser son sang et son argent pour chasser les Espagnols sans se mettre à leur place… Il vaut donc mieux peut-être garder les Espagnols, que nous connaissons, que les Français, avec lesquels il faudrait faire connaissance… — Eh bien ! conservons les Espagnols en Italie comme ennemis, et les Français hors de l’Italie comme amis, s’ils veulent se contenter de ce rôle[1]. » Ce dialogue exprime fidèlement les sentimens de l’Italie au XVIIe siècle et de tout temps. Avant tout l’indépendance de l’Italie ; mais cette indépendance n’est pas possible par les efforts de l’Italie seulement, qui ne peut chasser les Espagnols qu’avec l’aide des Français. Ceux-ci seront des maîtres à leur tour. Les Français ne peuvent être aimés de l’Italie que s’ils restent hors de l’Italie, s’ils la secourent sans la posséder. Le secret de notre influence en Italie est là.

Voilà pour l’Italie en général. Voyons pour la papauté. « Si les papes, continue l’interlocuteur principal des dialogues de Leti, faisaient plus d’attention aux intérêts du saint-siège qu’à leurs intérêts particuliers ou à ceux de leurs neveux[2], ils pencheraient plutôt vers la France que vers l’Espagne, car, à dire vrai, l’église à toujours reçu plus de secours et plus de protection de la France que de l’Espagne. Quel roi d’Espagne est jamais venu secourir le pape menacé dans Rome ?… Quelle province l’Espagne a-t-elle jamais donnée à l’église romaine ? Sixte-Quint disait un jour à un Espagnol qui attaquait les Français comme étant des hérétiques : L’église a pourtant reçu plus de faveurs de la France, que vous nommez hérétique, que de l’Espagne, qu’on croit si catholique… Depuis Paul IV (1555) jusqu’à Urbain VIII (1623), les Espagnols ont été dans Rome plutôt des maîtres que des amis. Cette sujétion déplaisait à quelques papes ; mais ils n’osaient pas lutter contre les Espagnols et risquer par là la fortune de leur maison, instruits par l’exemple du

  1. Dialogo sesto.
  2. Leti s’était converti au calvinisme. Il est très malveillant pour la cour de Rome, qu’il attaque partout dans ses ouvrages.