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littéraires de la vie mondaine. On y prend tout légèrement, gaiement, l’amour d’abord, et aussi le danger. La veille d’une bataille navale, Dorset, en mer, au roulis du vaisseau, adresse aux dames une chanson célèbre. Rien n’y est sérieux, ni le sentiment ni l’esprit ; ce sont des couplets qu’on fredonne en passant ; il en part un éclair de gaieté ; un instant après, on n’y pense plus. « Surtout, leur dit Dorset, pas d’inconstance ! Nous en avons assez ici en mer. » Et ailleurs : « Si les Hollandais savaient notre état, ils arriveraient bien vite ; quelle résistance leur feraient des gens qui ont laissé leurs cœurs au logis ? » Puis viennent des plaisanteries trop anglaises : « Ne nous croyez pas infidèles si nous ne vous écrivons point à chaque poste. Nos larmes prendront une voie plus courte ; la marée vous les apportera deux fois par jour. » Voilà des larmes qui ne sont guère tristes ; la dame les regarde comme l’amant les verse, de bonne humeur, en un lieu agréable (il s’en doute et l’écrit), offrant sa main blanche à un autre qui la baise, et se donnant une contenance avec le froufrou de son éventail. Dorset ne s’en afflige guère, continue à jouer avec la poésie, sans excès ni assiduité, au courant de la plume, écrivant aujourd’hui un couplet contre Dorinda, demain une satire contre M. Howard, toujours facilement et sans étude, en véritable gentilhomme. Il est comte, chambellan, riche, pensionne et patronne les poètes comme il ferait des coquettes, c’est-à-dire pour se divertir sans s’attacher. Le duc de Buckingham fait la même chose et le contraire, caresse l’un, parodie l’autre, est adulé, moqué, et finit par attraper son portrait, qui est un chef-d’œuvre, mais point flatté, de la main de Dryden. On a vu en France ces passe-temps et ces tracasseries ; on trouve ici les mêmes façons et la même littérature, parce qu’on y rencontre la même société et le même esprit.

Entre ces poètes, au premier rang, est Edmund Waller, qui vécut et écrivit ainsi jusqu’à quatre-vingt-deux ans : homme d’esprit et à la mode, bien élevé, familier dès l’abord avec les grands, ayant du tact et de la prévoyance, prompt aux reparties, difficile à décontenancer, du reste personnel, de sensibilité médiocre, ayant changé plusieurs fois de parti, et portant fort bien le souvenir de ses volte-faces ; bref, le véritable modèle du mondain et du courtisan. C’est lui qui, ayant loué Cromwell, puis Charles II, mais celui-ci moins bien que l’autre, répondait pour s’excuser : « Les poètes, sire, réussissent mieux dans la fiction que dans la vérité. » Dans cette sorte de vie, les trois quarts des vers sont de circonstance : ils font la menue monnaie de la conversation ou de la flatterie ; ils ressemblent aux petits événemens et aux petits sentimens d’où ils sont nés. Telle pièce est sur le thé, telle autre sur un portrait de la reine : il faut bien faire sa cour ; d’ailleurs « sa majesté a commandé les