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turque les cadres n’existent que de nom. L’avancement n’est soumis à aucune règle ; les rudes débuts du service militaire n’assurant ainsi aucun avantage, les classes riches délaissent le métier des armes pour entrer dans les carrières civiles, qui conduisent même au commandement des armées. Les officiers subalternes sont des soldats tirés des rangs par le caprice ou le hasard. Rien ne les sépare de leurs subordonnés avec lesquels ils vivent dans une familiarité que repousse toute bonne discipline ; rien ne les excite à s’élever par le mérite, l’instruction ou la valeur, — l’intrigue seule et l’argent donnant accès aux grades supérieurs. Ceux-ci reviennent de droit à l’ignoble classe des chiboukjis, barbiers, valets et commensaux des grands fonctionnaires. Complètement étrangers à l’armée, corrompus par l’atmosphère de Constantinople, créatures du sérail et des ministères, ces hommes n’apportent dans les camps que leurs vices. Le mépris qu’ils inspiraient ressort de la correspondance de tous les officiers anglais qui se sont trouvés en contact avec eux. « Ils sont, nous disent-ils, lâches, voleurs, débauchés et ivrognes. » Ce dernier vice semble extraordinaire chez les Orientaux ; il est en réalité, de tous les résultats de la civilisation, le seul qui se soit généralement propagé chez les Turcs. Tout individu qui se fait gloire d’avoir pris part aux lumières de l’Occident se fait par là même gloire d’avoir su vaincre les préjugés religieux relatifs à l’usage du vin ; mais là se borne le plus souvent le goût des Turcs pour la civilisation. Infatués d’une vaine admiration pour les connaissances des Européens, ils n’en conservent pas moins au fond du cœur le mépris du musulman pour le giaour, et ce mépris s’étend à ceux de leurs compatriotes qui se rapprochent des chrétiens par l’éducation. Ils repoussent ainsi des rangs de l’armée avec une obstination invincible les jeunes gens élevés dans les écoles militaires de Constantinople. À leur sortie des écoles, ces officiers, dont quelques-uns ont un mérite véritable, sont fatalement condamnés à végéter dans les arsenaux de l’artillerie et de la marine, où leur concours est indispensable. Plusieurs d’entre eux étaient allés rejoindre l’armée d’Anatolie, mais bientôt ils avaient dû céder aux avanies systématiques qui leur étaient infligées. Le colonel Williams en trouva encore trois ou quatre qui, privés d’emploi et de solde, avaient dû s’attacher au service personnel de quelques valets ignorans devenus feriks ou livas.

Par une contradiction apparente, mais qu’explique l’usage immémorial chez les Turcs de prendre à leur service des renégats de tous les pays, l’armée turque était encombrée de réfugiés allemands, italiens, hongrois, polonais, la plupart gens de sac et de corde qui, ne sachant où se réfugier, s’étaient décidés à prendre le turban. L’Anglais