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dans ces régions élevées permettait de discerner les moindres plis de terrain : çà et là, les cônes volcaniques qui surgissent au milieu de la plaine ; plus loin, les masses sombres du Kara-Iel ; plus loin encore, le magnifique amphithéâtre des montagnes de l’Alaghez et le pic couvert de neiges éternelles qui les domine toutes. Il n’était donc pas difficile de se diriger au milieu de la plaine. Cependant l’armée turque ne parvint pas à suivre l’ordre de marche qui lui était prescrit. L’avant-garde se mit en mouvement à onze heures du soir, le premier corps suivit ses traces ; mais le deuxième corps, sous le commandement immédiat du mouchir, perdit un temps énorme. À la sortie même du camp, les différentes colonnes qui le composaient se croisèrent. Le mouchir eut toutes les peines du monde à leur faire prendre leurs positions respectives. Une fois en ordre, le deuxième corps se remit en marche, mais il donna beaucoup trop à gauche. Vers la pointe du jour, il se trouva ainsi au pied du Kabak-Tépé, colline située à près de deux heures du Kara-Iel.

Cependant l’avant-garde et le premier corps avaient atteint la ligne dominante du terrain, qui descend ensuite vers le Kars-Tchaï. Le premier corps y fit halte à deux heures du matin ; l’avant-garde continua sa marche vers le Kara-Iel et disparut bientôt à tous les regards. Chacun s’attendait à voir éclater une vive fusillade ; mais la colline restait complètement silencieuse. Les minutes s’écoulaient ainsi pour tous dans une vive anxiété. À l’approche de l’aube, on put remarquer des formes encore indécises qui s’agitaient dans le demi-jour au sommet de la colline. Enfin l’aurore vint éclairer les immenses drapeaux rouges des bachi-bozouks d’Abderrhaman-Pacha, qui avaient occupé sans coup férir la redoute. Grande fut la surprise ! Au même moment, les rayons du soleil inondèrent de leur lumière la plaine, et laissèrent voir sur la gauche des Turcs toute l’armée russe formée en colonnes.

Le général Béboutof avait sans doute appris par ses espions le projet de retraite du mouchir. Il avait en conséquence levé son camp dans la nuit, et il s’acheminait vers Kars. Laissant le Kara-Iel à sa gauche, il remontait les pentes que descendaient les Turcs de Kérim-Pacha. Les deux armées se trouvèrent ainsi en présence, de part et d’autre, fort inopinément. Kérim-Pacha, brave et vieux soldat, mais d’une intelligence bornée, se disposa aussitôt au combat, et, sans se préoccuper autrement de l’éloignement des troupes du mouchir, déploya les siennes sur la crête où elles avaient fait halte. L’idée ne lui vint même pas d’appuyer sa droite au Kara-Iel et de se relier ainsi au corps d’Abderrhaman-Pacha, qui, faute d’ordres, demeura immobile sur la hauteur. Kérim-Pacha avait en ligne seize bataillons, trois batteries d’artillerie sur son front, huit escadrons sur ses ailes, quatre bataillons et huit escadrons en réserve. Le général