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la réorganisation de l’armée. Ces instructions incroyablement puériles[1] firent bondir le colonel Williams ; mais Schoukri-Pacha allait lui fournir de bien autres sujets de plainte. Après avoir fait connaître aux troupes les intentions du mouchir, le réis, rassuré sur leur sort, ne s’occupa plus qu’à contrecarrer Williams. Le colonel était en ce moment à Erzeroum, où il poursuivait la difficile entreprise de réunir dans les magasins de cette ville, pour les diriger ensuite sur Rars, les approvisionnemens nécessaires à la garnison. Il avait à lutter contre des difficultés infinies, le défaut d’argent, de moyens de transport, le mauvais état des routes, l’abondance des neiges, mais surtout la mauvaise volonté des autorités civiles et militaires, que gênait singulièrement sa rigoureuse surveillance. Aussi Schoukri-Pacha ne tarda-t-il pas à ameuter contre lui tout le pays. Le temps que Schoukri-Pacha n’employait pas à ses intrigues, il le passait en parties de débauche. Pour son malheur, il s’avisa, sous l’influence du vin, de parler en termes peu circonspects de l’autorité que s’était arrogée, disait-il, un simple officier de l’armée anglaise. Ces propos revinrent bientôt au colonel. Il n’en fallait pas tant pour exaspérer son humeur irascible et despotique. À la suite d’une scène violente qu’il eut avec Schoukri-Pacha, il exigea du divan que ce général fût arrêté et envoyé à Constantinople pour y répondre de sa conduite irrévérencieuse envers le commissaire de la reine et d’une longue suite d’autres méfaits, parmi lesquels figuraient ses habitudes scandaleuses d’ivrognerie et de dissipation. Le lecteur devine aisément ce que signifie ce mot de dissipation sous la plume réservée d’un officier anglais.

Cependant les malheureux ministres du sultan ne savaient plus à quel choix s’arrêter pour donner satisfaction à lord Stratford. Comme Ismaïl-Pacha décidément ne voulait pas aller en Asie, ils désignèrent à sa place Vassif-Pacha. C’était, depuis dix-huit mois, le cinquième général qu’ils envoyaient à l’armée de Kars. Vassif-Pacha était un honnête homme, faible de corps et d’esprit, mais animé des meilleures intentions. Il devint un docile instrument entre les mains du colonel Williams, et bientôt des actes d’une inexorable sévérité apprirent aux Turcs que désormais ils avaient à compter avec le commissaire de la reine d’Angleterre. Toutefois ces exemples ne pouvaient qu’arrêter momentanément le désordre. La source du mal était dans le sérail même. « C’est de là, dit Williams, que le flot de la corruption se répand dans tout l’empire pour y engendrer ces nuées de tyrans et de concussionnaires qui dévorent la substance

  1. Elles étaient ainsi conçues : « Article Ier. Désormais le fez sera porté sur l’oreille gauche, au lieu d’être porté sur l’oreille droite. — Article II. Les paremens des uniformes seront rouges au lieu d’être jaunes. — Article III. Les officiers porteront des cravates noires. — Article IV. Les officiers n’iront pas au même bain que les soldats. »