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politique. Il est sans doute américain, et grandement américain, par sa population, par la nature de ses ressources et de son développement, par les lacunes d’une civilisation si disproportionnée avec l’immensité du pays, en un mot par tout ce qu’il possède comme par tout ce qui lui manque. En même temps, de tous les états du Nouveau-Monde c’est celui qui se rapproche le plus de l’Europe par ses habitudes de gouvernement, par l’extérieur officiel de sa vie, par son aptitude politique. Le Brésil, c’est assurément son honneur et sa force, ne va pas de révolution en révolution ; il a une marche suivie, des affaires régulières dans leur ensemble, surtout des relations diplomatiques généralement conduites avec habileté, et des hommes d’état capables qui exercent alternativement le pouvoir sous la prudente direction d’un souverain plein de zèle et de circonspection, ayant toute la bonne volonté possible de bien faire. De là vient que, si dans ce jeune empire il y a des crises politiques, il n’y a point de commotions sérieuses ; si l’on rencontre toutes les incohérences inévitables dans un état de civilisation encore si imparfait, ces incohérences ne se compliquent pas du moins du mouvement de toutes les passions acharnées à bouleverser le pays dès longtemps pacifié.


Et maintenant quelle impression générale laisse dans l’esprit la vue de ces républiques dont l’existence n’apparaît le plus souvent que comme un tourbillon lointain ? On ne peut se le dissimuler, le Nouveau-Monde n’est encore que le gigantesque cadre de sociétés en voie de formation, dont l’ébauche ne peut pas même être entrevue, dont tous les élémens flottent dans la confusion. Aux États-Unis, tout est violence sans doute, jusque dans la paix ; il y a une audace qui trop souvent ne tient compte ni du droit, ni des faibles, mais qui agit, qui marche, et qui, en s’avançant chaque jour, dépose un germe, prend possession de la terre, fait reculer le désert et le vide. Dans l’Amérique du Sud, ce qui frappe, c’est cette universelle et colossale disproportion entre tous les intérêts déterminés par la nature et les événemens, œuvres des ambitions, — entre les ressources latentes d’un sol prodigieux et l’incurie des hommes, — entre l’étendue même du domaine et l’impuissance des dominateurs, qui semblent vouloir suppléer à leur petit nombre par l’agitation. Contemplez ce vaste continent : dans cet espace immense qui va de l’Océan-Atlantique à la Cordillère des Andes et du Rio de la Plata à la Patagonie, la Confédération Argentine voit se perdre une population qui ne va peut-être pas à 1,500,000 âmes. Au Venezuela, les llanos ou savanes, qui ont neuf mille lieues carrées, ne renferment pas 50,000 habitans ; la zone des bois, des montagnes, qui pourrait donner asile à plus de 15 millions d’hommes, en a