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s’armer d’un microscope grossissant pour découvrir que leur talent est de même nature que celui des poètes dramatiques, et que les qualités qui recommandent leurs œuvres sont les mêmes que nous applaudissons dans le drame et la comédie. Point n’est besoin de détourner de son sens l’épithète de dramatique pour l’appliquer à leurs œuvres, car leur rêverie est toujours à fleur d’âme, leur enthousiasme toujours impersonnel, et leur émotion toujours nettement déterminée par la situation et l’action qu’ils représentent. Tout en France tourne au drame et au théâtre, car tout y tourne à l’action, même la philosophie, même la religion, si bien qu’on peut oser affirmer, sans crainte d’être irrespectueux, que Bossuet lui-même n’est à plus d’un titre qu’un acteur sublime et un admirable auteur dramatique. S’il en est ainsi, il est facile de comprendre comment le théâtre ne peut être malade en France sans que la santé de l’esprit français soit atteinte du même coup. Donnez à un critique habile le bulletin de l’état des théâtres, et, sans autres renseignemens, il vous rédigera le bulletin de la santé morale publique, et il vous dressera l’inventaire des richesses de l’imagination et de l’invention françaises.

Faut-il dresser cependant aujourd’hui, d’après le bulletin de notre littérature dramatique, l’inventaire de la richesse publique et l’état de santé du génie national ? En ce cas, on pourrait nous croire bien malades. Si la littérature dramatique a une telle importance pour la France, il y a certainement, à l’heure qu’il est, quelque chose qui va mal. Quel est ce quelque chose et de quel nom on le nomme, c’est ce que je ne sais pas et ce que je ne me permettrai pas de rechercher. Je crains seulement que ce ne soit un mal compliqué, à noms multiples, à symptômes déconcertans, précisément comme celui dont souffre aujourd’hui la littérature dramatique. On dirait que tous les organes de la vie sont attaqués à la fois, et que toutes les maladies des différens âgés se sont réunies et amalgamées pour former ce mal bizarre. Est-ce le cœur qui est atteint ? On le croirait volontiers à voir la sécheresse des nouvelles productions dramatiques. Est-ce le cerveau ? Peut-être, tant la pensée est faible, défaillante, impuissante à s’exprimer. Observez cependant ces violences nerveuses suivies de prostrations et de langueur : peut-être le mal gît-il dans l’appareil de la sensibilité, et pourrait-il se dissiper avec un bon régime moral ? Oui, mais prenons garde de nous tromper : ces éruptions à la surface de la peau ne seraient-elles pas plutôt l’indice d’un sang grossier, plébéien, non encore purifié par les habitudes de la civilisation ? Et quel âge le patient a-t-il en réalité ? Est-ce un vieillard qui s’affaisse sous le poids des souvenirs trop accumulés ? Est-ce un jeune homme tourmenté par les vagues et violens malaises de l’adolescence ? Vous pouvez choisir à votre gré dans