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rio (ou Xavier), le beau chanteur, l’habile plâtrier italien, nouvellement arrivé au pays pour des travaux d’art dans les bâtimens de la mairie de la ville haute. Ce jeune homme avait une voix magnifique et chantait avec goût, quoiqu’il eût un peu d’accent étranger ; mais cet accent n’avait rien de désagréable et rendait sa prononciation plus sonore. Du haut du rocher, Audebert fit un signal convenu avec une branche verte. Les eaux et les rouages de l’usine, qui étaient au repos, partirent alors avec un grand bruit de marteaux et de cascades, en même temps qu’on vit les fumées des fourneaux s’élever en spirales noires dans les airs.

C’était un simulacre de travail et comme l’ouverture nécessaire de la cantate. Quand Audebert et son compagnon furent descendus jusqu’à une roche surplombante qui les rapprochait convenablement de l’auditoire, Audebert fit encore un signe, et les machines s’arrêtèrent. Les flots furent enchaînés comme par magie, et un chœur d’ouvriers entonna l’épithalame qu’Audebert avait composé, et dont Saverio déclama et chanta tour à tour le récitatif et les strophes. Il y avait longtemps qu’Audebert n’avait été si bien inspiré. Son cœur ému avait rendu la lumière à son génie troublé, et, quoiqu’il y eût encore quelques incorrections dans ses vers, la paraphrase en prose que nous en donnerons pour terminer cette véridique histoire prouvera que ses idées ne souffraient d’aucun désordre.


CHŒUR.

« Taisez-vous, rouages terribles ! tais-toi, folle rivière ! Fers et feux, enclumes et marteaux, voix du travail, faites silence ! Laissez chanter l’amour ; c’est aujourd’hui la fête d’hyménée.


RÉCITATIF.

« Toi d’abord, jeune époux, fils adoptif de la Ville-Noire, reçois la bénédiction de l’amitié, c’est encore celle de Dieu pour ton amour. Écoute, par la voix de l’ami étranger, la parole amie de la vieillesse. La vieillesse résume et enseigne ; elle a derrière elle les longs jours de l’espérance et de la douleur, du plaisir et de la peine. Cette parole te dit : Souviens-toi !


STROPHES.

« Oui ! souviens-toi des jours déjà passés… Ils ont passé vite, mais ils ont été assez remplis pour t’instruire. Les labeurs de ton apprentissage et les premiers essais de ta force, les illusions de ton esprit et les élans de ton cœur t’ont déjà enseigné ce que l’enfant doit souffrir pour devenir un homme, ce que l’homme doit comprendre pour devenir un sage. Souviens-toi !

« Souviens-toi du jour où le mugissement des eaux, les craque-