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oiseuse, et me donne envie de répondre, à peu près comme Scarmentado, qu’il m’est égal que l’un de ces élémens soit supérieur à l’autre, pourvu qu’ils soient mélangés en proportion suffisante et que la pièce ait de la saveur et soit cuite à point. Voilà cependant le débat qui est en litige depuis plus de vingt ans dans les régions dramatiques. Les poètes ou ceux qui se prétendent tels n’ont pas assez de mépris pour les charpentiers dramatiques, qui croient que l’action est tout au théâtre et dispense de style, de poésie et d’observation ; les dramaturges de profession n’ont pas assez de quolibets pour les poètes, qui croient qu’une pièce peut se composer d’élégies, de dithyrambes et de sonnets mis à la suite les uns des autres, et que l’action ne doit être que le fil mince et invisible qui réunit les perles d’un collier. Il résulte de cette sotte querelle que les uns sacrifient trop, et les autres pas assez, aux exigences du théâtre. M. Charles de Courcy, par exemple, me semble avoir involontairement versé dans la première de ces deux erreurs ; je dis involontairement, car son drame de Daniel Lambert révèle un effort sensible, quoique stérile, pour mettre d’accord ces deux élémens de l’action et du sentiment poétique. Il a voulu évidemment faire une œuvre qui fût à la fois dramatique et littéraire, et on ne peut sans injustice ne pas lui tenir compte de cette bonne volonté ; mais il s’est trompé, peut-être par une connaissance trop intime de la partie matérielle du théâtre. Nourri dans le sérail dramatique, il en connaît trop les détours. Il a vu de trop près et observé trop minutieusement les moyens par lesquels on tient les spectateurs attentifs, les procédés par lesquels on obtient un jeu de scène ou une situation émouvante. Cette connaissance des choses du théâtre a enlevé à son esprit toute liberté ; il s’est préoccupé outre mesure des exigences de l’optique et de l’acoustique théâtrales. Le théâtre ne souffre aucun détail parasite, il a voulu que chacune des phrases du dialogue portât coup. Le théâtre ne supporte pas une action languissante, il a voulu que l’intérêt de la pièce ne fût pas interrompu un instant, et, pour atteindre ce but, il a exagéré les caractères, fait violence à l’action, et traîné de gré ou de force les situations sur la scène. Ce qu’on distingue le mieux dans cette pièce un peu trouble, ce sont les projets de l’auteur, qui en a eu de toute sorte : projets de mots comiques, projets de dialogues vifs et animés, projets de contrastes, projets même de situations dramatiques.

Il est dommage en vérité que la pièce ne soit pas meilleure ; la donnée en était excellente et bien trouvée. Il s’agissait de mettre en contraste deux nuances très fines du sentiment amoureux : — une nuance de l’amour de tète, le caprice orageux et passager ; une nuance de l’amour de cœur, la sympathie, — et de prouver que l’amitié d’une femme valait souvent mieux que son amour. Or cette