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Vienne, de nombreux ouvriers catholiques désertent les ateliers des Israélites. Partout les chaires tonnent contre la race proscrite. Nous ne voulons pas croire que le gouvernement autrichien seconde ce débordement de fanatisme, lequel, à notre époque, déshonorerait le gouvernement et le peuple qui ne sauraient pas le contenir et le réprimer. On ne pourrait donc qu’accuser la faiblesse du gouvernement autrichien, si ces menées intolérantes, qui aboutissent à d’odieux excès, venaient à se prolonger. Que ce gouvernement y prenne garde : il n’y a pas de signe plus certain de la décomposition du pouvoir et pas d’état plus révolutionnaire que la résistance non refrénée de l’intolérance religieuse aux intentions réformatrices d’un souverain. La France en sait quelque chose : elle a vu où la monarchie a été conduite par l’opposition stupide et factieuse que rencontraient avant 1789, dans le clergé et dans la noblesse, les idées généreuses de Louis XVI et des plus intelligens de ses ministres.

En Angleterre, les préoccupations de la politique étrangère se calment un moment, et les questions intérieures viennent de prendre un intérêt qu’elles n’avaient point présenté au commencement de la session. Comme on le savait d’avance, il n’y a pas eu de vote sur la seconde lecture du bill de réforme. L’opposition, habilement conduite par M. Disraeli, avait annoncé qu’elle ne refuserait pas la seconde lecture ; mais elle s’est arrangée de façon à prolonger le débat jusqu’à l’épuisement. Grâce à cette tactique, les vices de la mesure de lord John Russell ont été minutieusement fouillés et dénoncés avec vivacité par la plupart des orateurs libéraux. Un des discours les plus remarquables qui aient été prononcés à la fin du débat a été celui de M. Gregory, revenu récemment des États-Unis, et qui a opposé au bill tous les argumens que fournit contre l’abus du suffrage universel l’expérience de la démocratie américaine. Le discours de cet orateur libéral devrait être imprimé à la suite de l’immortel ouvrage de Tocqueville sur la démocratie en Amérique, car M. Gregory s’est en quelque sorte étudié à montrer dans les faits actuels la justesse prophétique des jugemens portés par le grand publiciste français sur les conséquences inévitables du gouvernement démocratique. Ce débat sur la réforme, les dissensions qu’il a laissé voir au sein du parti ministériel, celles qu’il a permis de pressentir au sein même du cabinet, n’ont pas peu contribué à la réaction qui s’est produite contre la politique financière de M. Gladstone, et s’est manifestée à la troisième lecture du bill qui abolit le droit d’excise sur le papier. Ce bill n’a passé qu’à la majorité de 10 voix : il a donné lieu à un des débats les plus brillans de la session ; M. Disraeli y a pris corps à corps son illustre rival avec un à-propos d’argumens et une verve d’invectives qui ont excité les applaudissemens frénétiques de ses amis, et ont obtenu sur les bancs ministériels déconcertés le succès du silence. Plusieurs membres très importuns du parti whig, sir John Ramsden, le colonel Coke, M. Adeane, lord Harry Vane, les deux MM. Ellice, ont dans cette circonstance voté contre le cabinet. Jusqu’à présent, les conservateurs n’avaient jamais eu parmi les