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le vrai secret de leur puissance. « On parle sans cesse des zouaves, disait récemment un orateur du parlement anglais, et l’on débite sur eux tant de choses qu’on ne sait plus en vérité ce que c’est. » Eh bien ! tout Français aurait pu répondre à cet orateur : « Le zouave est comme la vigne, un secret du vieux sol gaulois ; c’est un secret qui depuis bien longtemps court le monde, mais que nul n’a pu nous ravir encore. »

Une gravure populaire en Italie, que j’ai vue à Plaisance derrière les vitres des marchands, représente le roi Victor-Emmanuel en uniforme de zouave. Je ne donne pas assurément cette gravure comme un modèle de bon goût : il y a là quelque chose qui sent un peu trop peut-être ces énergiques caresses de la popularité dont les princes, à certaines heures, courent parfois le risque d’être meurtris. Du reste, qu’on l’approuve ou non, cette image constate le seul fait dont je veuille m’occuper en ce moment : l’union qui, sur le champ de bataille de Palestro, s’établit entre le roi de Sardaigne et le régiment français placé sous ses ordres. Le combat dont je n’ai raconté qu’un épisode fit une vérité de cette phrase consacrée, mais si souvent menteuse, que l’on applique d’ordinaire aux troupes alliées : il confondit réellement le sang des nôtres et le sang piémontais. Les zouaves virent le roi de Sardaigne d’aussi près que les grenadiers du Trocadero avaient vu autrefois le prince de Carignan. Un tel souverain et de tels soldats étaient destinés à se plaire ; la séduction eut lieu de part et d’autre : elle fut prompte et vive, comme l’action même dont elle naquit. Aussi l’empereur répondit-il au vœu des zouaves en décidant que les canons conquis par eux dans la journée du 31 mai seraient offerts au roi de Sardaigne. Un des officiers supérieurs qui avaient le plus contribué à la victoire de Palestro et le chef de l’état-major de l’artillerie du troisième corps furent chargés d’accomplir la décision impériale. Le maréchal Canrobert me confia l’agréable mission de faire connaître cette volonté à celui qu’elle intéressait. Je montai à cheval une après-dînée pour me rendre au quartier-général du roi. J’avais fait quelques pas à peine dans la grande rue de Palestro, quand des acclamations m’apprirent que ma course était arrivée à son but. Le prince que j’allais trouver chevauchait, au milieu de tout son état-major, entre les groupes nombreux de promeneurs militaires dont le village était alors encombré. Cette rencontre ne me surprit point, je puis même dire que je l’attendais, car près d’une armée piémontaise, n’importe en quel sens on pousse son cheval, on est sûr de se trouver devant le roi. J’exécutai les ordres du maréchal Canrobert, et j’exprimai de mon mieux au roi, qui m’encourageait du reste par un bon et loyal sourire, les sentimens que j’avais recueillis sur son compte dans les rangs les plus obscurs de notre armée. Si j’ai été courtisan,