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venir, du sein ému des villes italiennes, ce n’étaient point des hommes qui semblaient sortir, c’étaient des jeunes filles. On avait sous les yeux les enchantemens de l’Arioste : au lieu de ces farouches figures que le sombre génie des révolutions tire chez nous de cavernes inconnues, mille visages sourians se montraient à toutes les ouvertures des maisons illuminées par le soleil, et ce patriotisme féminin dont j’ai déjà parlé continuait ses démonstrations fleuries. Rien de joyeux comme Novare la veille de Magenta. Les feuilles de roses tombaient sur nos épaulettes et s’arrêtaient sur la crinière de nos chevaux. Combien devaient mourir le lendemain parmi ceux qui respiraient les parfums de cette matinée ! Pluie de fer, pluie de fleurs, voilà toute la guerre d’Italie.

L’empereur s’était établi à Novare dans un vaste palais situé au centre d’un quartier populeux. Ce fut là que le maréchal Canrobert se rendit quelques heures après son arrivée. L’empereur était à cheval ; il avait été reconnaître l’endroit où le corps du général Mac-Mahon devait opérer son passage. C’est en cet instant même que se livrait le combat de Turbigo. À plusieurs reprises, on avait entendu dans la ville le canon de ce combat. L’heure avançait, et le chef de notre armée ne rentrait point. Une secrète inquiétude agitait déjà quelques esprits. La vie devient chose si fragile dans une enveloppe qu’on promène au souffle du canon ! Tout à coup la ville se remplit d’acclamations ; d’une fenêtre où je m’étais placé, je vis briller l’uniforme des cent-gardes et enfin paraître l’empereur lui-même. Il portait sur ses traits cette placidité mystérieuse que le lendemain je devais retrouver sur son visage entre les cadavres et les trophées de Magenta.

IV.

Le 4 juin, nous devions quitter Novare à onze heures ; mais la route qui conduisait de Novare à San-Martino était tellement encombrée, qu’à une heure seulement nous montions à cheval. Heureusement le maréchal Canrobert avait prescrit le départ isolé de la brigade Picard, qui s’était mise en route à neuf heures. Cette brigade fut une des premières troupes qui rejoignit l’empereur et porta un utile secours à la garde, si vigoureusement engagée. Ce fut une grande joie pour le maréchal de la trouver à l’instant où lui-même, devançant le corps qu’il commandait, venait prendre place au terrible feu où une nouvelle victoire naissait à la France.

Le ciel, au moment de notre départ, est éclairé par un soleil ardent et passionné dont les rayons maîtrisent les nuées d’un ciel orageux. La route que nous suivons est une de ces routes italiennes qui ont l’été un aspect si joyeux, et que j’aime malgré la blanche