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au milieu des hommes couchés sur leurs sacs et des armes réunies en faisceaux, quand un bruit soudain de mousqueterie retentit à quelques pas de nous dans le brouillard du matin. L’air est envahi de nouveau par l’essaim turbulent des balles. Nous pouvons nous croire rentrés dans les régions de la veille. Cette fusillade matinale, cette diane sonnée en coups de feu, avaient pour but de cacher un mouvement du général Gyulai. C’était, a dit le rapport autrichien, le dernier effort d’un vaillant régiment qui avait perdu la moitié de ses officiers dans la journée de Magenta ; tandis que l’armée ennemie, campée dans la direction d’Abbiate-Grasso, opérait sa retraite, ce régiment, lancé en avant, venait essayer de cacher sous le rideau brûlant d’un nouveau combat ce qui se passait derrière lui. À cette explosion de coups de fusil, le général Trochu monte à cheval ; il fait prendre les armes à toute sa division, et se jette lui-même sur l’ennemi à la tête des premières troupes qui sont prêtes. Les hommes se mettent au pas redoublé, les clairons et les tambours entonnent la charge, et, soulevés par ces accens entraînans, voilà les pieds de nos fantassins qui courent à travers l’herbe chargée de rosée. Je me rappelle avec bonheur ce brillant départ. Il avait je ne sais quoi d’héroïque et de gai. Cette image de l’alouette gauloise, qui nie revient toujours quand je me trouve entre les rangs agiles et joyeux de notre infanterie, s’offrit à moi plus vive que jamais. Je la voyais, cette alouette, prendre sa volée aux premiers rayons du jour, à travers les champs de maïs, allègre, audacieuse et défiant le plomb qui sifflait autour de ses ailes. Ce rapide engagement eut des résultats qui répondirent à ses débuts. Le général Trochu repoussa l’ennemi, et le poursuivit en lui faisant éprouver des pertes sensibles. Perdu dans la gloire de la veille, le combat de cette matinée ne fut point pourtant sans éclat. Il eut dans ses étroites proportions ses nobles dévouemens, ses généreux trépas, aussi bien que les plus grandes batailles, car l’héroïsme et la mort surtout se jouent des limites encore plus que le génie ; ce qui est marqué à leur empreinte offre partout la même grandeur.

Le lendemain de Magenta est une des journées qui font le plus de lumière dans mes souvenirs ; je retrouve l’une après l’autre toutes les heures qui ont passé pour moi dans cette région du temps, et le regard particulier que chacune d’elles m’a jeté en passant. Ainsi je me rappelle une longue séance que je fis sur le pont du chemin de fer, où le maréchal s’était arrêté, attendant les ordres de l’empereur et l’allure qu’allaient prendre les événemens. C’était sur ce pont que la garde avait livré la veille ses plus opiniâtres combats. Aujourd’hui ce lieu où les soldats circulaient joyeusement, devisant des périls passés, se parant en jouant d’uniformes enlevés à l’ennemi, ce lieu avait quelque chose de souriant qui rappelait les fêtes