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chemin creux, s’occupant du départ de ces troupes ; il échangeait quelques paroles avec le général Courtois d’Hurbal, qui revenait d’une rapide reconnaissance, quand deux officiers d’ordonnance de l’empereur arrivèrent presque en même temps au milieu de nous. L’un de ces officiers portait au maréchal l’ordre déjà deviné et accompli d’appuyer le quatrième corps ; l’autre lui enjoignait de faire observer les mouvemens que, d’après un document sérieux, un parti d’Autrichiens venant de Mantoue se disposait à tenter sur nos derrières. Je raconte ces faits, consignés du reste dans les récits officiels, parce que j’en ai été le témoin, parce qu’ils se sont passés en des lieux dont je pourrais décrire chaque arbre et chaque pierre. Voilà ce qui les met sous la loi de mon récit. J’ai hâte de revenir aux obscurs incidens des batailles. Que d’humbles deniers jetés par des mains inconnues dans ces trésors éblouissans de gloire qui font l’orgueil des peuples ! Ce sont ces deniers que je recherche, et que je voudrais entourer pour tous les regards de l’éclat sacré qu’ils ont pour mes yeux.

a -Notre pauvre vieux commandant, la première balle a été pour lui ; il y allait de tout son cœur ; il n’était pas toujours commode, mais vraiment cela m’a fait de la peine. » De qui parlaient les deux grenadiers dont j’ai recueilli ces paroles au milieu d’un champ de maïs, je n’en sais rien. Je cherchais en cet instant le maréchal Canrobert, et cette recherche faisait passer devant mes yeux une succession rapide de tableaux. Les soldats qui accordaient leurs regrets à un chef qu’ils venaient de voir tuer avaient cette honnête expression si touchante aux heures des dangers. C’étaient des paysans apportant la foi du charbonnier dans la religion de l’honneur et du drapeau. Quant à ce vieux commandant qui n’était pas toujours commode et qui allait au feu de tout son cœur, chacun pourrait faire son portrait. Dans ces trois hommes, l’officier qui venait de mourir, les grenadiers qu’affligeait cette mort, je saluais avec un respect attendri toute une partie de notre armée. Qui pourra faire pousser plutôt que ceux dont j’ai en ce moment l’âme remplie cette exclamation répétée par tant de bouches : « O sainte simplicité ! » cette simplicité, qui est une vertu dans toute l’acception du mot, c’est-à-dire une souveraine, une invincible puissance, où la rencontrer plus émouvante et plus complète que dans ces hommes insoucieux de leurs jours, ignorans d’eux-mêmes, également étrangers aux grandeurs de leur mort et de leur vie ?

Le maréchal Canrobert, quand je le rejoignis, n’avait autour de lui, de tout son corps d’armée, que les officiers de son état-major. Il avait laissé à notre droite, dans un village appelé Rebecco, le général Renault, qui avait prêté au général Luzy un concours intelligent et vigoureux. Il avait envoyé chercher le général Trochu, dont