Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/600

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comble aux démentis infligés par la Providence et par la nature aux attentats de la force et aux machinations de la ruse, Napoléon était réduit à préparer secrètement la restauration espagnole en négociant avec son captif royal de Valençay, en même temps qu’il renvoyait lui-même Pie VII à Rome, heureux si, au prix de cette double expiation, il avait pu effacer un double souvenir !

Avec les royautés vassales avaient disparu, les dotations, les duchés, les fiefs et tout le mobilier féodal dont l’héritier des césars avait prétendu garnir son fantastique empire de tout cela, une seule chose était demeurée : c’était une soif inextinguible de fortune et de bien-être, c’était chez les lieutenans de Napoléon une vive irritation contre le chef qui, après avoir suscité de tels désirs, les faisait suivre d’aussi cruelles déceptions ; c’était enfin une disposition de plus en plus sensible à sacrifier le bienfaiteur pour conserver au moins une partie des bienfaits. Comme Louis XIV aux jours de sa décadence, Napoléon avait alors à répondre devant la postérité de la génération formée par lui-même : épreuve suprême qui ne tourne pas toujours contre les gouvernemens modestes et qui écrase parfois les pouvoirs les plus glorieux !

Depuis dix ans, l’empire avait pris autant de soin pour étouffer les forces intellectuelles que le consulat en avait paru prendre pour les susciter. Le chef de l’église était captif du prince qu’il avait sacré, et le redoutable nom de roi de Rome avait été infligé à l’héritier du trône. Contristé, mais timide, et n’étant pas plus un appui qu’un obstacle, l’épiscopat français, sous la main-mise de l’état et malgré d’héroïques exceptions, se voyait incessamment provoqué à prendre l’attitude de bonhomie vulgaire qui s’est révélée par une évocation récente. La pensée était suspecte sous toutes ses formes, la parole interdite dans l’état et surveillée dans la famille. Depuis longtemps, aucun contact légal n’existait plus entre la nation et son gouvernement, et, au grand péril du maître, ses serviteurs étaient presque tous trop abaissés pour ne pas chercher à se grandir par la trahison. La France était encore plus lasse qu’épuisée, plus fatiguée de son joug qu’attristée de sa fortune, symptôme mortel parce qu’il était tout spontané, et qu’il ne pouvait être imputé à aucune manœuvre des factions. En retraçant dans un tableau d’une vérité incomparable l’état intérieur de la France au moment de l’invasion, M. Thiers fait ressortir, de manière à lever tous les doutes jusque dans les esprits les plus prévenus, l’abandon universel sous lequel s’affaissait l’établissement européen dont le sort avait toujours trouvé la France indifférente. Pendant qu’il s’attache à mettre en relief ce qui pouvait rester encore de ressources militaires à Napoléon, l’historien démontre que le sentiment public avait déjà condamné l’empire ; il prouve que, sans s’inquiéter du lendemain, et sans songer