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était perdu dès qu’il n’avait que des soldats à opposer à des soldats. Cette conclusion inévitable et trop prévue d’une campagne aussi héroïque que vaine enlève une grande partie de son intérêt au dramatique récit des prodiges accumulés dans l’espace de quelques semaines.

Rien n’est plus admirable dans l’histoire militaire que la courte campagne durant laquelle un général vaincu détruit avec une poignée d’hommes toute une armée, menace d’en écraser une autre, et, comme un sanglier frappé à mort, guette et rencontre avant d’expirer l’occasion de faire de larges entailles aux chasseurs dont il a trompé la vigilance et déjoué les calculs. Champaubert et Montmirail égalent, s’ils ne le surpassent, l’éclat des plus grandes journées de l’empire ; mais que pouvait désormais la gloire de Napoléon pour sa fortune, et quel intérêt français servait en définitive cette agonie savamment prolongée par l’égoïsme du génie ? Les conditions de la paix future et du nouvel état territorial du continent s’étaient trouvées fixées le jour où l’Angleterre, enfin résolue à nous enlever l’Escaut, avait fait agréer aux souverains la perspective de l’établissement de la maison d’Orange en Belgique. Cette pensée, portée au quartier-général des alliés par lord Castlereagh aux derniers jours de janvier 1814, était devenue, sans être encore formulée, l’idée-mère des conférences de Châtillon ; elle forma le lien du pacte de Chaumont, par lequel la coalition associait l’avenir à ses vengeances, et c’est parce qu’il savait les résolutions des cabinets irrévocables que M. de Caulaincourt, la honte et la douleur dans l’âme, insistait si vivement pour que l’empereur ne repoussât pas, si dure qu’elle fût, la condition des limites de 1790. Comme le dit fort bien M. Thiers, « cette question signifiait au fond qu’on ne voulait plus avoir affaire à Napoléon, et qu’on était résolu à le détrôner pour substituer une autre dynastie à la sienne. » Telle était en effet la conséquence, visible à tous les regards, de propositions qu’en France seul Napoléon se trouvait dans l’impossibilité personnelle d’accepter. Celui-ci le savait encore mieux que l’Europe : il était donc naturel qu’il opposât à de telles perspectives des résistances désespérées ; il était fort simple que l’empereur s’efforçât de compromettre le pays dans une question qui impliquait celle de sa propre déchéance. Je ne sais rien de plus triste à suivre que la lutte sans espérance engagée par un pouvoir solitaire qui met le salut du pays au prix d’un élan national qu’il a tout fait lui-même depuis dix ans pour rendre impossible. D’auxiliaires, l’empereur n’en eut jamais ; de point d’appui, il n’en veut pas, lors même qu’il en éprouve le plus pressant besoin, car, en renvoyant les membres du corps législatif, il leur a adressé ces paroles : « Moi seul je représente la nation, qui ne vous connaît