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résolution étrange tout au moins de se diriger de sa personne vers la frontière pour y rallier les cent mille hommes oubliés dans les places fortes, et revenir bientôt à leur tête soit assister les Parisiens derrière leurs barricades, soit les venger dans leur tombe !

Rien de tout cela n’était sérieux, car la base de ces divers projets reposait sur une hypothèse inadmissible, celle d’une lutte prolongée dans les rues de Paris, et le sens public pénétrait fort bien l’inanité de combinaisons qui, en échange de désastres trop certains, ne présentaient aucune chance solide de succès. En m’efforçant de comprendre les manœuvres multipliées conçues par Napoléon dans la fièvre féconde de son désespoir, combinaisons savantes que son historien nous déroule jusque dans leurs plus lointaines profondeurs, j’ai souvent été tenté de croire qu’au fond Napoléon pouvait bien avoir pensé sur toutes ces choses-là à peu près comme la France, et qu’au mois de mars il ne croyait guère plus que le pays à la possibilité d’une résistance efficace. La campagne de France fut peut-être le prologue héroïque du drame populaire de Sainte-Hélène, prologue moins préparé pour sauver l’empire que pour déifier l’empereur.

Comme un fruit mûr, quoique inattendu, la restauration sortit d’elle-même du mouvement de l’esprit public, qui, s’il n’avait pas renversé l’empire, l’avait du moins laissé tomber. Les Bourbons en effet pouvaient accepter avec honneur la seule paix que la nation eût alors à attendre, car la France qu’on nous laissait était celle que leurs ancêtres avaient léguée aux nôtres ; au dehors, ils intervenaient comme des médiateurs naturels entre leur patrie et l’Europe ; au dedans, ils pouvaient, sans blesser aucun des principes dont leur maison était l’expression glorieuse, substituer les bienfaits de la liberté au prestige évanoui de nos armes, et renouer la chaîne des temps brisée dans la tempête. Jamais révolution ne fut plus naturelle et plus réfléchie dans ses causes, en même temps qu’accueillie avec une adhésion plus manifeste. « La sage bourgeoisie de Paris, expression toujours juste du sentiment public, longtemps attachée à Napoléon, qui lui avait procuré le repos avec la gloire, et détachée de lui uniquement par ses fautes, avait compris que, Napoléon renversé, les Bourbons devenaient ses successeurs nécessaires et désirables, que le respect qui entourait leur titre au trône, que la paix dont ils apportaient la certitude, que la liberté qui pouvait se concilier si bien avec leur antique autorité étaient pour la France des gages d’un bonheur paisible et durable. Cette bourgeoisie était donc animée des meilleurs sentimens pour les Bourbons, et prête à se jeter dans leurs bras, s’ils lui montraient un peu de bonne volonté et de bon sens[1]. »

  1. M. Thiers, tome XVII, page 816.