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de Bathoum, qui ne comptait plus que 7 ou 8,000 hommes, elle était hors d’état de rien entreprendre.

Les Russes se disposaient au contraire à prendre l’offensive. Ils n’avaient plus en effet les mêmes motifs de ménager le territoire ottoman. Les alliés de la Turquie, après avoir épuisé la voie des négociations, avaient eu recours aux armes. La lutte était engagée depuis près d’une année, et déjà les circonstances permettaient d’en prévoir l’issue. La puissance morale de la Russie allait se trouver compromise en Occident : il s’agissait de la sauver en Orient. Le moment d’agir était venu ; l’occasion s’offrait d’anéantir l’armée turque, abandonnée sans secours à Kars. Il n’était pas même nécessaire d’aller la forcer dans ses lignes ; pour l’amener à capituler, il suffisait de l’y bloquer pendant quelques mois. En s’emparant de Kars, la ville inexpugnable qui pendant deux siècles avait bravé tous les efforts des Persans, la Russie montrait aux populations de l’Asie quels étaient les véritables maîtres de cette contrée, et, sans le moindre risque, obtenait un grand résultat politique.

Le général Mouravief, qui, cette année, avait le commandement de l’armée du Caucase, avait consacré l’hiver aux préparatifs de tout genre qu’exigeait son entreprise. La principale difficulté qu’il avait à vaincre était de tenir de grandes masses de troupes réunies dans ces contrées dépeuplées : c’était, comme l’avait trop bien prouvé l’expérience du passé, une difficulté sérieuse. Pendant le cours de ses campagnes d’Arménie, le général Paskiévitch s’était vu souvent arrêté par le défaut de vivres. Cette fois d’ailleurs le pays avait été complètement ravagé ; il fallait tout tirer de la Géorgie. Le général Mouravief réussit néanmoins à pourvoir aux besoins de son armée de 50,000 hommes jusqu’au milieu des rigueurs de l’hiver suivant. Ce fait mérite attention ; il révèle à lui seul l’étendue des ressources que les provinces du Caucase offrent à la Russie pour l’accomplissement de ses projets sur l’Asie.

Les Russes avaient, pendant le mois de mai, concentré leurs forces aux environs de Goumry et d’Achalkalaki ; elles s’élevaient à 28,000 hommes d’infanterie, 7,500 de cavalerie, 64 pièces d’artillerie. Une forte garnison occupait la place d’Achaltziche, et devait par la suite concourir aux opérations de l’armée. Dans le Gouriel, le prince Bagration-Moukhranski, avec les milices du pays et quelques troupes de ligne, contenait les Turcs de Bathoum. Le détachement d’Érivan, sous les ordres du général Souslof, observait Vély-Pacha dans la vallée de l’Euphrate.

Aux premiers jours du mois de juin, l’armée russe se mit en mouvement sur trois colonnes, commandées par les généraux Gagarin, Nyrod et Kowalevski. Les deux premières colonnes prirent position à Akdja-Kala, en attendant que celle du général Kowalevski eût occupé